Armas Launis
 A cheval sur deux pays et sur plusieurs traditions musicales, Armas Launis est un des derniers compositeurs finlandais de la première partie de ce siècle dont on remet l'oeuvre en lumière. Bien que Tauno Karila (in Composers of Finland, 1965) ait affirmé que « Launis won recognition as a composer not only in Finland but also in France, where his works have also been given hearings », la réalité était jusqu'à présent moins brillante. La pauvreté bibliographique sur l'homme et l'œuvre est d'ailleurs égale à la rareté des documents sonores. Après Kaj Maasalo en 1969, seul Erkki Salmenhaara en 1996 dans la Suomen musiikin historia vol. 3 semble avoir réellement utilisé les archives qui appartiennent maintenant à la Bibliothèque de l'Université d'Helsinki, des archives qui pour être pleinement exploitables par un non franco-nissarto-fennophone né après 1950 devraient d'ailleurs être remises en ordre et reliées à l'oeuvre musicale et littéraire du compositeur.
Launis a pourtant été l'auteur du premier opéra finlandais qui a été monté sur une scène française : Kullervo.
Ses activités musicales et journalistiques ont été multiples et il a aussi été le premier et le seul compositeur finlandais qui, avant la deuxième guerre mondiale, se soit fixé en France et qui ait tenté de s'y imposer musicalement.
On dit qu'après sa disparition, tout compositeur doit traverser un purgatoire. Celui-ci étant par définition temporaire contribuons à tenter d'y mettre fin et éveillons la curiosité des musiciens et des chercheurs pour ce compositeur oublié afin que - à côté de ses contemporains finlandais, romantiques tardifs, néo-classiques ou progressistes - et surtout après Pingoud, Klami, Madetoja, Merikanto et Melartin, son œuvre ait la chance d'une nouvelle évaluation, cette fois-ci avec tout le recul nécessaire.
L'intérêt actuel que lui portent quelques musicologues et chefs d'orchestre finlandais et français pourrait annoncer des jours meilleurs. La création et l'enregistrement d'un de ses opéras inédits : Aslak Hetta, une bibliographie en préparation, la réédition de certaines oeuvres, des rencontres prévues à l'Institut finlandais de Paris et en Finlande, la création d'une association de défense de l'oeuvre, laissent espérer cette venue.
Nous reviendrons en février 2003 sur le détail de ces événements et sur un calendrier chaque jour un peu plus rempli.
Les textes qui suivent ont paru dans le numéro 78/81 de la revue Boréales. Il présente la vie et l'oeuvre d'Armas Launis à partir de 1930, alors qu'il est devenu un citoyen toujours finlandais et nouvellement niçois.
Nous reviendrons en février 2003 sur le détail de ces événements et sur un calendrier chaque jour un peu plus rempli.
Les textes qui suivent ont paru dans le numéro 78/81 de la revue Boréales. Il présente la vie et l'oeuvre d'Armas Launis à partir de 1930, alors qu'il est devenu un citoyen toujours finlandais et nouvellement niçois.
1. Présentation générale
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Armas Launis (1884-1959)
Un compositeur finlandais dans le contexte niçois et français.
Par Henri-Claude FANTAPIÉ
Si le 15 mai 1955, en assistant dans la petite salle Saint-Dominique à Nice au concert du Collegium Musicum de France, éphémère ensemble de cordes niçois, j’avais pensé que j’étais le témoin d’un événement susceptible d’un intérêt futur, j’aurais pris quelques notes et serais certainement allé voir le compositeur dont on donnait en cette fin d’après-midi une Suite nordique et un Andante religioso.
A cheval sur deux pays et sur plusieurs traditions musicales, Armas Launis est un des mal-aimés de la musique finlandaise de la première partie de ce siècle. Bien que Tauno Karila (in Composers of Finland, 1965) ait affirmé que « Launis won recognition as a composer not only in Finland but also in France, where his works have also been given hearings », la réalité est moins brillante. La pauvreté bibliographique sur l’homme et l’œuvre est d’ailleurs égale à la rareté des documents sonores. Après Kaj Maasalo en 1969 et avant H. I. Lampila en 1997, seul Erkki Salmenhaara en 1996 dans la Suomen musiikin historia vol. 2 a réellement utilisé les archives qui appartiennent maintenant à la Bibliothèque de l’Université d’Helsinki, des archives qui pour être pleinement exploitables devraient d’ailleurs être remises en ordre.
Launis a pourtant été le compositeur du premier opéra finlandais qui a été monté sur une scène française, ses activités musicales ont été multiples et il a aussi été le premier et le seul compositeur finlandais qui, avant la deuxième guerre mondiale, se soit fixé en France et qui ait tenté de s’y imposer musicalement.
Je voudrais donc essayer de replacer ce compositeur dans un contexte provincial et français et de suivre ses relations avec confrères et interprètes avec en toile de fond celles qu’il tente de maintenir avec son pays.
On dit qu’après sa disparition, tout compositeur doit traverser un purgatoire. Celui-ci étant par définition temporaire j’essayerai donc par la même occasion de contribuer à y mettre fin et d’éveiller la curiosité des musiciens et des chercheurs pour ce compositeur oublié afin que - à côté de ses contemporains finlandais, romantiques tardifs, néo-classiques ou progressistes - et surtout après Pingoud, Klami, Madetoja, Merikanto et Melartin, son œuvre ait la chance d’une nouvelle évaluation, cette fois-ci avec le recul nécessaire.
Le décor et les acteurs
Armas LAUNIS (né Lindberg le 22 avril 1884, Launis à partir de 1900) est aujourd’hui bien oublié et c’est peu compter sur le rôle qu’il a joué en Finlande au début de ce siècle comme musicologue, compositeur d’opéras et organisateur de l’enseignement musical. Sans aller au-delà d’une esquisse de sa vie, il est nécessaire de commencer par replacer le personnage dans le contexte de l’époque.
La biographie la plus intéressante sur le compositeur est en français, écrite par le compositeur et chef d’orchestre Henri Tomasi et très certainement directement inspirée par Launis car Tomasi qui n’était ni musicologue ni fennomane dut prendre beaucoup de renseignements à la source. Les études musicales de Launis, dans l’ombre de Sibelius, sont influencées par Ilmari Krohn en qui il trouve un guide pour ce qui deviendra vite un de ses intérêts majeurs, l’ethnomusicologie à la base de son doctorat en 1911 et pour un second sujet de prédilection, l’enseignement. Mais son attachement principal restera la composition qu’il étudie en 1907 – 1908 à Berlin au Conservatoire Stern avec Wilhelm Klatte et à Weimar avec de brefs épisodes en Scandinavie, Russie et en Europe centrale.
L’ethnomusicologue
La vie de Launis est marquée par une intense curiosité et un goût des voyages qui ne diminuera que du fait de la guerre et de sa sédentarisation familiale. Ses collectages en Carélie, en Ingrie et en Laponie sont toujours d’actualité pour les chercheurs contemporains. Après l’Est et le Nord de son pays, il s’intéresse à l’Estonie. A partir de 1920, ses voyages le conduisent au Pays Basque, en Espagne, en Algérie puis au Maroc. Le folklore nissart sera son dernier intérêt musicologique dans les années 1930, un intérêt qui lui fera même apprendre la « lenga nissart ». Parmi les publications qui témoignent de ces années de collectage j’ai retenu :
1908 : Joïkus (Lappische Juoigos-Melodien : 830 joïkus)
1910 : mélodies du Kalevala (Runenmelodien)
1910 : mélodies ingriennes (Inkerin runosävelmät)
1930 : mélodies caréliennes (Karjalan runosävelmät)
1930 : mélodies estoniennes (Eesti runoviisid)
Docteur en 1911, Professeur agrégé de l’Université d’Helsinki, il enseigne de 1918 à 1922 à l’Université d’Helsinki. Il est également nommé membre de la Société du Kalevala et de l’Académie des Sciences en 1920 mais son rôle reste essentiel comme fondateur des Conservatoires Populaires de Finlande à partir de 1922, établissements qui, sous une nouvelle dénomination existent encore aujourd’hui. Il est à l’origine de la diffusion de ce type d’écoles dans le pays.
De 1904 (Quatuor à cordes en do majeur) à 1930, date de son installation à Nice, trois œuvres essentielles jalonnent son parcours, trois opéras et tout d’abord les Sept frères (Seitsemän veljestä - 1913), sur un livret (1911) qu’il rédige d’après l’œuvre homonyme d’Aleksis Kivi. En 1914, il adapte le sujet de Kullervo qu’il met en musique en 1917 et qui est joué la même année, avivant les regrets de Sibelius (qui n’assiste pas à la première), de ne pas avoir écrit d’opéra sur le sujet. En 1921, après avoir écrit une des toutes premières musiques de film en Finlande pour Les noces caréliennes (Häidenvietto Karjalan runomailla ), puis une musique de scène : Simoun (1928), il aborde un troisième livret pour l’opéra né de ses voyages en Laponie, Aslak Hetta dont il écrira la musique plus tard à Nice.
Outre l’écriture en 1915 d’une importante étude de 88 pages Ooppera ja puhenäytelmä l’activité ethnomusicologique et les voyages ont donné à Launis la possibilité de faire de nombreuses conférences et d’écrire des articles et livres de voyage comme :
1922 : Le pays que j’aspire à revoir
1927 : Dans le pays des Maures (Murjaanien maassa)
1929 : Une famille de marins de l’archipel de Turku
La France et les compositeurs finlandais au début du siècle.
Les relations musicales entre la France et la Finlande, contrairement à celles des arts graphiques et de la littérature, ont été lentes à s’établir. L’attirance de Leipzig s’est tout d’abord enrichie de celles pour Vienne puis pour Berlin. La découverte de Paris et des écoles françaises ne se fera qu’avec la venue de Toivo Kuula (1883 – 1918) en 1909 qui lui-même influera sur l’arrivée de Leevi Madetoja (1887 – 1947) en 1910 qui y reviendra régulièrement jusqu’en 1938. Un troisième voyageur se fixera temporairement en France, il s’agit d’Uuno Klami. Aucun des trois n’aura l’occasion d’intervenir dans la vie musicale française autrement qu’en spectateur ce qui peut paraître d’autant plus étonnant que Madetoja et Klami étaient venus avec l’intention d’y rencontrer leurs maîtres.
Armas Launis en 1930
En 1930, Launis est à Paris avec sa femme. Sa pension l’autorisait à voyager à condition de passer trois mois en Finlande chaque trois années. Avant Paris, ils sont allés en Algérie, à Palerme, en Allemagne, en Angleterre. Depuis 1928 il est en France et il habite à Paris, Rue Jacob (la même rue que fréquenta Madetoja en 1910). C’est là que le couple alors respectivement âgé de 45 et 46 ans apprend qu’une naissance s’annonce. Une fille naît, et c’est pour rechercher pour elle les meilleures conditions de croissance que la famille descend en septembre trouver le soleil à Nice. Le choc pour Launis provient de la nature, du climat méditerranéen, et de la rencontre avec ce que l’écrivain René Schickele trouve en « ce lieu où tomba un jour un morceau de ciel sur la terre » d’autant qu’il y a à Nice une petite colonie finlandaise particulièrement accueillante. C’est d’ailleurs le consul de Finlande Charles-Marcel Powilewicz, qui est aussi le président du Comité des fêtes de la Ville de Nice, qui deviendra le parrain de la petite Asta. Les Launis envisagent de s’y fixer. Launis dispose alors depuis 1920 d’une subvention d’honneur annuelle à vie de l’État finlandais et de son salaire de directeur de conservatoire qu’il espère encore conserver en le dirigeant à distance. Il possède également une carte de journaliste et il envoie de nombreux articles en Finlande pour Uusi Suomi et Helsingin Sanomat sur tous les sujets. La famille s’installe dans un hôtel du Quai des États-Unis et – signe d’un attachement profond à la ville – achète sur plan un appartement dans un immeuble en construction en face de l’Église Russe, au 20 bis avenue Gay, dans un quartier alors périphérique, sur les hauteurs de la ville, du côté du Parc Impérial où se trouve un des deux lycées de la ville ou ira la jeune Asta en 1935 avant de rejoindre le Lycée de jeunes filles.
L’homme est alors décrit par son ami le journaliste et écrivain Pierre Rocher comme ayant un caractère affirmé, au franc-parler, généreux, peu soucieux du qu’en dira-t-on, qui n’est pas attaché à un quelconque formalisme vestimentaire (il ne porte pas de cravate) et il est profondément religieux et fidèle dans ses amitiés. Autour des Powilewicz qui habitent alors 24, Quai Lunel et des Launis, un véritable centre intellectuel s’ouvre pour les Finlandais de passage et on rencontre chez eux Emil Wikström, peut-être aussi les voisins de Cagnes-sur-Mer, L. Onerva et Leevi Madetoja, et les Launis prennent soin du poète Uuno Kailas qui va mourir de tuberculose.
Nice entre les deux guerres
A cette époque, la province française est loin de posséder la vie culturelle qu’on peut y trouver aujourd’hui. Il y a toutefois à Nice beaucoup d’étrangers qui viennent y passer la saison, c’est à dire l’hiver. La colonie russe blanche a été ruinée par la révolution et a été remplacée par les voyageurs anglais et américains. De nombreux retraités s’installent au soleil et une certaine vie intellectuelle et artistique se développe à l’ombre des mimosas et des orangers. La ville n’est toutefois pas très riche et n’a pas de politique culturelle très développée. Il y a un opéra qui joue surtout le répertoire italien,
tandis qu’à quelques kilomètres, l’opéra Garnier de Monte-Carlo est plus audacieux sous la direction de l’original Raoul Gunsbourg (qui a d’ailleurs passé deux ans à la tête de celui de Nice, de 1889 à 1891) et aux fonds que la riche Société des Bains de Mer tire du Casino. Un peu plus loin il y a aussi Marseille et son opéra qui concurrence les plus grandes scènes italiennes. Mais pour un Niçois, Marseille est très loin ! Il y a aussi des casinos à Nice qui ont leur propre saison. Le Casino de la Jetée Promenade, ouvert en 1891 a vu en 1903 la création de la Vie brève de Manuel de Falla, le Casino Municipal de la place Masséna est plus ancien encore puisque inauguré en 1884, il organise des saisons de concerts avec l’Orchestre Philharmonique de la Ville qui est également l’orchestre de l’opéra et invite de grands solistes à se produire. Des solistes internationaux, pianistes et violonistes de renom vont aussi jouer au Palais de la Méditerranée, ouvert en 1929, qui reçoit également les troupes de théâtre de passage et monte des opérettes. De plus petites salles s’ouvrent à la musique comme la salle de l’Artistique qui connaîtra le succès avec la création des Jeunesses Musicales et qui jouera après-guerre un rôle important dans le rajeunissement de la vie musicale niçoise. Il y a alors 19 salles de spectacle dans cette ville de 237.000 habitants, y compris les Théâtres d’opérette et les Cercles. Il y a aussi un deuxième orchestre à Nice (le troisième est celui du Casino de la Jetée-Promenade) qui est celui d’une Radio qui n’est pas encore nationale mais porte le nom de Radio Nice - P.T.T. et deviendra l’Orchestre de Nice – Côte-d’Azur après guerre. Un Conservatoire enfin a été municipalisé en 1918 et son niveau est excellent.
Depuis 1920, avec les « années folles » que l’historien Robert Latouche appelle aussi les « années d’inquiétude », la ville se renouvelle complètement, une véritable école niçoise d’architecture se tourne résolument vers l’avenir sans pour cela privilégier un style plutôt qu’un autre ce qui donne parfois des résultats curieux.
Enfin jamais Nice – pourtant gâtée en ce domaine - n’a vu passer et s’installer autant de gloires littéraires et artistiques à la fois.
La correspondance : le fonds Launis à la Bibliothèque de l’Université d’Helsinki
On est en droit de se demander si on retrouve bien toute la correspondance qui a été, après sa mort, intégralement reversée à la Bibliothèque de l’Université d’Helsinki dans le Fonds Launis avec l’ensemble de ses manuscrits, articles, livrets et critiques (30 caisses d’après la fille du compositeur, 2m 80 d’étagères comme l’indique poétiquement le catalogue). Launis ne s’est guère donné la peine sinon en de très rares occasions de garder des doubles de ses propres lettres et de commenter celles qu’il recevait. Les articles découpés dans les journaux ne sont pas classés et certains exemplaires sont redondants, d’autres sans date. Le classement a visiblement été fait par quelqu’un qui connaît mal le contexte français et niçois. De rares brouillons en français de lettres qu’il envoie ont des écritures différentes : simple mise en français aidée par un ami ou propositions précises d’argumentaires ? On ne le sait. Les correspondants apparaissent rarement avec une continuité bien grande, à l’exception d’une correspondance suivie avec une Sœur originaire de Grenoble, qui vécut au Caire et dont on annonce la mort à Launis juste après la guerre et de celle avec son frère Ilmari, qui mériteraient en elles-mêmes une étude plus approfondie mais qui ne nous apprennent rien de nouveau sur les activités musicales de Launis.
La période de la guerre laisse peu de traces dans sa correspondance professionnelle. Seule une lettre à l’administration de l’Opéra de Paris fait mention de la pensée reconnaissante du compositeur envers la Résistance et de son refus de s’engager en cette période d’occupation pour se faire jouer.
Launis à Nice
Contacts avec le milieu
L’arrivée de la famille Launis passe inaperçue à Nice. Ce sont des anonymes perdus dans le flot des touristes et des migrants, inconnus du public et des décideurs artistiques locaux. Petit à petit un cercle d’amis et de relations va se former qui traverse les disciplines. Il y a des Niçois et parmi eux les journalistes J. Stan et Pierre Rocher et l’auteur-acteur Francis Gag qui dirige son théâtre en langue niçoise au 30, Quai St.-Jean Baptiste. Pour la musique il y a avant quiconque le chef d’orchestre Charles Boisard, qui dirigera également à l’opéra en 1946 et d’autres chefs d’orchestre comme Marcel Mirouze, Pierre Pagliano et Henri Tomasi, habitués des orchestres de radio de l’époque qui vont d’une station à l’autre et sont plutôt des relations professionnelles. Le premier et le dernier joueront le rôle artistique le plus important pour Launis. La correspondance ne permet toutefois pas de suivre pas à pas les relations du compositeur avec les acteurs de la vie musicale locale. Par exemple avec certains jeunes musiciens d’après guerre comme le pianiste Alain Motard (une lettre). D’autres personnages importants dans la vie des Launis sont le violoniste Gil Graven, la cantatrice Marie Powers et le baryton niçois Charles Cotta.
Les ressources financières de Launis varièrent dans le temps. Peu joué, il ne perçoit que peu de droits. Son salaire de directeur de conservatoire se maintient malgré les polémiques, quand on se rend compte qu’il ne rentrera pas en Finlande et qu’il ne peut espérer les diriger à distance. Il lui reste sa bourse d’État qu’il perdra totalement pendant la durée de la guerre. Des revenus irréguliers proviennent de ses conférences et des articles de journaux. Jehudith lui permet de percevoir 80.000 FM dont il rendra compte de l’utilisation au Ministère de l’Éducation.
Heureusement le consul Charles-Marie Powilewicz et plus tard son fils Charlie ainsi que les Ministres plénipotentiaires à Paris, Johan Helo puis H. Holma font leur possible pour l’aider à faire connaître sa musique. Leur correspondance complète celle de Launis et s’adresse à l’Europe entière. Des notices sur les exécutions de ses œuvres et sur ses projets sont régulièrement envoyés à la presse finlandaise. Les résultats ne sont pas à la hauteur des espérances.
Il y a ensuite ses relations avec les éditeurs qui furent souvent difficiles. En 1936, au moment où il essaie de faire jouer Aslak Hetta à Nice, il est en rapport avec les éditions Choudens de Paris. Aucun projet n’aboutira. Kullervo fut aussi à l’origine de maints soucis que la correspondance rapporte. C’est l’éditeur londonien Josef Weinberger qui représente Launis pour cette œuvre par l’intermédiaire de Max Bertouch même si Launis essaiera de s’adresser d’abord à Choudens, puis à la Maison Fortin. Les autres œuvres de cette époque n’ont pas été éditées et pour toutes, la fille du compositeur se rappelle ses parcours dans le vieux Nice pour porter les manuscrits aux copistes.
Launis lui-même est à l’origine de deux textes qui paraissent en français, tout d’abord une brochure de 24 pages qui paraît chez Weinberger sous la signature d’Henri Tomasi sous le titre Armas Launis, notes biographiques – Kullervo – Autres œuvres. L’ouvrage a été imprimé à Nice et commandé par le compositeur. L’autre brochure concerne Jehudith.
Pour ses opéras, les collaborateurs de Launis ont été Charles Boisard, auteur de la version française de Kullervo et un certain Pierre Rose qui a travaillé sur Jehudith un livret dont Boisard sera finalement responsable ultime de la version française.
La correspondance de Launis montre que ses efforts n’ont pas toujours été dirigés avec tout le discernement nécessaire. Il a peut-être un peu trop compté sur ses amis niçois et sur ses appuis diplomatiques pour réaliser son désir de faire jouer ses opéras et il a négligé tout un pan de la vie musicale française qui – il est vrai – se situait à Paris. Il n’y a aucune trace de correspondance avec les associations symphoniques parisiennes ni avec les sociétés musicales comme le Triton, la Sérénade et les plus anciennes comme la Société nationale de musique et la Société musicale indépendante, ni avec la Schola Cantorum (alors dans un assez mauvais état, il est vrai). Il n’a pas non plus de contact avec les salons qui font et défont les modes de l’époque. Enfin, dernière remarque, il ne semble pas avoir connu les Niçois qui sont « montés » à Paris comme par exemple le compositeur Maurice Jaubert.
Les œuvres de la période niçoise
Par la force des choses, et bien que l’opéra semble être resté une préoccupation constante, Launis écrira à Nice surtout des œuvres orchestrales, négligeant curieusement le domaine de la musique de chambre qui offrait encore des facilités d’exécution et d’édition.
Oublions vite une Chanson de Carnaval écrite en 1937 sous le pseudonyme de Monsieur Armas qui obtiendra un troisième prix au concours de l’année, ainsi que quelques musiques de scène. Je n’ai pas réussi à découvrir si un projet avec Francis Gag pour Lou sartre matafiéu s’est bien réalisé, mais une musique pour Madame le Maire, une pièce de Lucien Camille et surtout une autre pour Une femme de province de Pierre Rocher ont abouti à des représentations publiques confirmées par la presse.
Les réalisations
Outre les œuvrettes théâtrales, on peut mettre à côté d’Aslak Hetta, que Launis ne parviendra pas à faire jouer, quelques succès incontestables. Dans le domaine de l’opéra, il y en eut deux et tout d’abord celui de Kullervo avec trois dates importantes :
- 1938 (30 juillet) : exécution à Radio-Nice PTT, après seize répétitions, sous la direction de Charles Boisard dans une version française du même. La retransmission est relayée par trois autres stations radiophoniques régionales (Strasbourg, Bordeaux, Montpellier). Il s’agit de la première exécution publique en France d’une œuvre lyrique finlandaise.
- 1939 (fin mai ou début juin) : exécution de 10 à 15 minutes d’extraits à Tunis au 64e concert de l’OSM, toujours sous la direction de Boisard.
- 1940 (jeudi 22 février) : exécution au Palais de la Méditerranée de Kullervo intégral sous la direction d’Henri Tomasi dans une mise en scène de Marcel Sablon. L’œuvre fait l’objet d’une radiodiffusion nationale de son 3e acte. Cette fois, nous avons plus de cinquante ans d’avance sur le montage du Kullervo d’Aulis Sallinen à l’opéra de Nantes qui a un peu trop
légèrement été présenté comme une première d’un opéra finlandais en France.
- 1947 (22 octobre) : exécution à Radio Monte-Carlo de Kullervo, sous la direction de Boisard. Une bande est envoyée en Finlande et Yleisradio la diffusera le 31 décembre.
- 23 janvier 1954 : retransmission en direct de la salle Érard à Paris sous la direction d’Eugène Bigot de trente minutes d’extraits de Jehudith en création mondiale radiodiffusée qui nous vaudra les deux seules critiques importantes qui aient paru dans la presse nationale sur une œuvre de Launis sous la plume de René Dumesnil et de Maurice Imbert.
Dans le domaine de la mélodie, il y eut au moins un récital de la cantatrice Marie Powers à Radio-Luxembourg accompagnée par le jeune pianiste niçois Alain Motard.
Parmi les œuvres orchestrales, il faut retenir les ouvrages suivants :
- 1938 : la Marche nuptiale écrite pour le mariage du fils du Consul Powilewicz pour harpe et cordes.
- 1941 : Le combat de la surveillante est donné à Radio Bordeaux par l’orchestre de la station.
- Mars 1949 : la Suite nordique (Pohjoismainen sarja) pour violon et orchestre (ou piano) est jouée à Radio-Nice sous la direction de Marcel Mirouze avec Gil Graven en soliste.
- Octobre 1950 : Gil Graven annonce qu’il va jouer la Suite Orientale (où ?)
- Avril 1952 : Mirouze revient d’Helsinki où il n’a pas dirigé de Launis mais annonce que Graven va bientôt y venir pour y jouer la Suite Carélienne (Karjalan runomailta) pour petit orchestre.
- 16 juin 1952 : Gil Graven joue la Suite Nordique (où ? Est-ce en Finlande ?)
- Octobre 1954 : tournée en Finlande de Gil Graven et Marie Powers (Hämeenlinna, Lahti, Helsinki) (œuvres ?)
- 15 mai 1955 : concert salle Saint Dominique à Nice du Collegium Musicum de France de Gil Graven (Suite nordique et Andante religioso).
- 9 septembre 1959 : concert d’hommage par l’orchestre de Radio-Nice Côte d’Azur dirigé par Pierre-Michel Le Conte avec Gil Graven en soliste (Andante religioso et Berceuse romantique).
Parmi les chefs d’orchestre, Pierre Pagliano alors à la tête de l’orchestre de Radio-Marseille se récuse en prétextant que sa formation ne comprend que les bois par deux et non par trois comme le demande Launis (ce qui n’est pourtant pas le cas de toutes ses œuvres). Tomasi ne semble pas avoir dirigé en Finlande malgré un projet qui n’apparaît que dans la correspondance et n’a donc apparemment dirigé que Kullervo. Boisard n’a semble-t-il lui aussi dirigé que cette œuvre et Gil Graven, est peut-être celui qui a fait le plus, mais dans l’ensemble le résultat est un peu décevant.
Échanges Franco-finlandais – projets non réalisés.
Dans son désir d’être joué et de bâtir un pont entre la France et la Finlande, Launis a fait de son mieux et a toujours tenté de servir d’intermédiaire sans jamais perdre de vue ce qui restait central : la diffusion de son œuvre. Il s’en suit une série de projets dont certains se réalisèrent comme une tournée (peut-être deux) de Gil Graven en Finlande, une de Marie Powers, une de Marcel Mirouze. Nous n’avons pas pu retrouver trace d’un éventuel voyage de Tomasi qui semble lié à l’organisation d’un festival de musique finlandaise en France en 1941 qui appartient malheureusement à une série de projets avortés comme l’organisation d’un mois Franco-finlandais à Helsinki en 1938.
Parmi les autres projets non aboutis, il y a en particulier Aslak Hetta, Kullervo à Paris et à l’Opéra de Nice après la guerre, Jehudith à Nice, Il était une fois et Les flammes gelées, œuvre qui lui tenait particulièrement à cœur.
Armas Launis s’est éteint à Nice où il est enterré. Le journal Nice-Matin lui consacra le 9 septembre 1959 une brève notice nécrologique sous la plume du fidèle Pierre Rocher qui enfilait une jolie perle en comparant sa musique à celle de Grieg tandis que le même jour un autre fidèle, Gil Graven, interprétait à la radio (programme national), accompagné par l’orchestre de Radio-Nice sous la direction de Pierre-Michel Le Conte, l’Andante religioso et la Berceuse romantique. C’était, à ma connaissance, la dernière fois qu’était interprétée une œuvre d’Armas Launis en France.
Bref épilogue temporaire
Parmi les lettres des archives Launis à Helsinki, je voudrais mettre en valeur celle que le compositeur Sylvio Lazzari lui a envoyé pour commenter un refus d’Aslak Hetta et dans laquelle il lui écrit « Croyez-moi, cher Monsieur, en France il n’y a rien à faire pour un compositeur étranger, s’il n’arrive pas avec une réputation mondiale comme Puccini, Strauss, de Falla, Albeniz, Smetana… Aslak Hetta pourrait être un chef-d’œuvre, on ne vous le jouerait pas et c’est compréhensible, le public n’allant qu’aux représentations établies, et les budgets des théâtres sont élevés (…) Moi, Français, déjà estimé, il y a trente ans, j’ai attendu dix ans la représentation de La Lépreuse qui ensuite a été déclarée chef-d’œuvre (…) ». La lettre est brutale mais est-elle tout à fait réaliste si l’on pense au nombre impressionnant de compositeurs de toutes nationalités, souvent jeunes, qui entre les deux guerres ont fait de la France ou plutôt de Paris un lieu d’expression et d’épanouissement musical et professionnel. Launis n’a pourtant pas manqué d’intercesseurs. En priorité, les deux consuls niçois, le père et le fils Powilewicz et les ministres à Paris et à Vichy, Helo et Holma. Du côté des musiciens, Boisard, Graven, Cotta, Powers et à un degré moindre Mirouze et Tomasi l’ont défendu, mais si on excepte ce dernier, aucun n’avait réellement une envergure nationale. Nombre des critiques sur ses œuvres ont été locales et traduites par lui-même pour la Finlande. Ici aussi, nous nous trouvons devant des intervenants locaux dont les articles sont sans réel écho national. Launis a dit un jour qu’il ne rentrerait en Finlande que célèbre. On peut supposer que le pari a malheureusement été perdu et, pour en adoucir l’effet on doit constater que la guerre a certainement joué sa part. De plus, il est impossible d’imaginer ce qui se serait passé si Kullervo avait pu être monté à Paris. Une autre raison de l’échec est certainement dû au mode de vie de Launis, hors du circuit parisien. Entre le choix de la qualité de la vie niçoise et les contraintes de ce qui ne s’appelait pas encore le monde du show-business, Launis avait donné la primauté à celui-là et il en a subi les conséquences malheureuses pour son œuvre. Outre la dualité Nice-Paris, une autre comparaison vient à l’esprit, celle qui confronterait Nice et Helsinki. Quel aurait été le destin de l’œuvre de Launis s’il avait été comme Madetoja un voyageur gardant effectivement un pied dans chaque pays ? Son sort aurait-il été plus favorable que celui d’Oskar Merikanto dont la vie et le succès musical, aux honneurs près, ne furent guère satisfaisants ? Et son œuvre aurait-elle été appréciée différemment par ses compatriotes s’il était resté parmi eux ? Quelles influences autres son style d’écriture aurait-il subi ? Autant de questions sans réponses mais qu’il faut se poser pour comprendre la place que son œuvre occupe aujourd’hui. D’autant que nous avons volontairement laissé de côté le point de vue musical et que celui-ci peut nous réserver d’autres surprises car ce n’est qu’en allant à la rencontre de l’œuvre et en la jouant qu’il sera possible de l’apprécier.
Helsinki – Nice – Chézy. Août 1998 – Mai 1999
BIBLIOGRAPHIE, SOURCES, DOCUMENTS
Œuvres de la période niçoise
- 1930 : Aslak Hetta, opéra en 3 actes, livret du compositeur, est terminé (avec traduction en français et en allemand)
- 1932 : Andante religioso (de Noidan laulu) pour violon solo et orchestre
- 1934 : Noidan laulu (Le chant de la sorcière), opéra en 4 actes
- 1935 : Une femme de province, musique de scène pour la comédie de Pierre Rocher
- 1937 : Chanson de Carnaval (Karnevaalimarssi)
- 1937 : Marche nuptiale (pour le mariage de C. Powilewicz) pour cordes et harpe
- 1938 : Karjalainen taikahuivi (Lumottu silkkihuivi), opéra comique en 2 actes
- 1938 : Karjalainen sarja, extraite de Karjalainen taikahuivi, pour orchestre
- 1939 : Theodora, opéra en 3 actes et épilogue
- 1940 : Berceuse, pour violon et cordes
- 1940 : Jehudith (Aavikon lukki), opéra en 3 actes, livret du compositeur
- 1940 : Danse égyptienne extraite de Jehudith, pour orchestre
- 1940 : Karjalan runomailta, suite en 4 parties extraite de la musique du film Häidenvietto Karjalan runomailla de 1921, pour flûte et cordes (réduction pour piano)
- 1940 : Berceuse (Kehtolaulu) de l’opéra Kullervo, pour violon et cordes
- 1944 : Il était une fois (Oli kerran), opéra féérique en 3 actes
- 1948 : Marche solennelle, pour orchestre (réductions : violon et piano / orgue)
- 1950 : Suite nordique, pour violon et orchestre (réduction pour violon et piano) : 1. Solitude – 2. Scène pastorale – 3. Berceuse romantique (Souvenir d’enfance) – 4. Appel du berger.
- 1952 : Suite Carélienne, pour orchestre : 1. En Carélie – 2. Chant du crépuscule – 3. On danse au son du kantélé – 4. Le village est en liesse.
- 1959 : Les flammes gelées ; Stella Borealis (Jäiset liekit) , opéra-ballet pour la télévision.
Archives, entretiens et témoignages :
- Bibliothèque de l’Université d’Helsinki : Fonds Launis.
- Entretiens et correspondance avec Mme Asta Schuwer-Launis, MM Jean-Pierre Bigot, Claude Tomasi et Jean Mouraille, critique musical et présentateur des J.M.F. à Nice.
- Remerciements à Mme Michèle Maucoronel pour ses recherches à Nice et à Jeffrey Engel pour ses renseignements sur les chefs d’orchestre français.
- Documents : à Paris : I.N.A. et Radio-France. À Helsinki : Teosto et Musiikin Tiedotuskeskus.
- Un certain nombre de courriers sont à cette date restés sans réponse notamment à des acteurs de la vie musicale niçoise des années 30, à Radio Monte-Carlo et à Yleisradio.
- Launis, Riita une émission enregistrée par Yleisradio
Histoires de la musique, dictionnaires et écrits avec une entrée sur Launis :
Aro, Mirja & Salmenhaara, Anja (toim.) Harrastajaopistosta Konservatorioksi : Helsingin kansankonservatorion säätiö (Helsinki : 1972)
Fantapié, Henri-Claude & Fantapié, Anja, La musique finlandaise Boréales 26/29 (1983) et 70/73 (1997)
Haavikko, Ritva (toim.) Kirjalijat puhuvat – Tulenkantajat (Vaasa, SKS, 1976)
Karila, Tauno, Composers of Finland (Helsinki, Suomen Säveltäjät, 1965)
Katila, Evert, Kullervo (Oopperaopas 1, 1920)
Lampila, Hannu I. Suomalainen ooppera
Leisiö, Timo, entretien radiophonique (archives de la radio finlandaise)
Maasalo, Kaj, Suomalaisia sävellyksiä II (Helsinki, WSOY, 1969)
Makinen, Timo & Nummi, Seppo, Musica Fennica (Helsinki
Marvia, Eino (toim.) Suomen säveltäjiä I (Helsinki, 1965)
Ranta, Sulho in Suomen säveltäjiä – Armas Launis (Helsinki, WSOY, 1945)
Salmenhaara, Erkki, Suomalaisia säveltäjiä – Armas Launis (Helsinki, Otava, 1994)
Salmenhaara, Erkki, Suomen musiikin historia, vol.2, Kansallisromantiikan valtavirta : Armas Launis (Helsinki, WSOY, 1996)
Samuel, Claude, Panorama de l’art musical contemporain
Tomasi, Henri, Armas Launis, Notes biographiques – Kullervo - Autres œuvres (Nice, Josef Weinberger, 1940)
Écrits de Launis consultés
Launis, Armas, Ooppera ja puhenäytelmä (Helsinki, Kansanvalistusseura, 1915)
Vie à Nice
Gag, Francis, Théâtre niçois, intégral (Nice : Serre éditeur, 1998)
Latouche, Robert, Histoire de Nice (3 vol.) (Ville de Nice : 1965)
Schickele, René, Spaziergänge an der Côte d’Azur des Literaten (Zürich : Éd. de l’Arche, 1993)
La musique et le théâtre à Nice et sur la Riviéra du XVIIIe s. à nos jours (Éd. des Amis du Musée Masséna)
La Musique, Sourgentin, 84 (Nice : novembre décembre, 1988)
Les Niçois dans l’histoire – dictionnaire (Éd. Privat – 1988)
La Promenade des années -30, Nice historique (Nice : Academia Nissarda n° 1-2, 1993)
Un siècle de musique à Nice, Nice historique ((Nice : Academia Nissarda n° 2-3, 1994)
Archives de Nice-Matin, Bibliothèque Municipale du Musée Masséna (Fonds Cessole)
Divers
Fantapié, Henri-Claude, Leevi Madetoja et la France (Les voyages d’un compositeur finlandais au début de ce siècle), Études Finno-Ougriennes XXI
Documents sonores et visuels
Sur la vie à Nice et sur les œuvres marquantes réalisées à Nice à cette époque :
Vigo, Jean A propos de Nice, (film – 1930)
Gag, Francis : Lou sartre matafiéu (Les fiançailles du maître tailleur) Cassette Vidéo
Nissa Vielha : enregistrements de chansons populaires et de Carnaval des années 1930 à Nice. CD.
Peintures de Dufy, Raoul, Matisse, Henri et du peintre niçois Mossa, Georges (illustrateur du programme de Kullervo pour la représentation au Palais de la Méditerranée).
Œuvres musicales de Launis
Marche nuptiale : archives de la radio finlandaise (Ulf Söderblom et l’Orchestre de la radio)
Suite nordique : id. (Rahkonen, violon et Cronwall, Orchestre de la radio)
Jehudith, extraits : archives de l’I.N.A. (enregistrement de la création : orchestre Radio-symphonique, direction Eugène Bigot avec Claudine Collard, Marguerite Myrtal, Jean Giraudeau, André Vessières, chœurs de la R.T.F. direction René Allix – version française de Charles Boisard : Pastorale berbère, Chant arabe, Berceuse d’un petit lépreux, Bédouins le soir sous la tente, Danse égyptienne, Rose de Jéricho, Chant du désert, Lamentations du peuple des sables, Sérénade bédouine).
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 HÄIDEN VIETTO KARJALAN RUNOMAILLA : la partition
Sous le numéro 14 732, TEOSTO et SMT possèdent une partition qui se présente sous la forme suivante :
[Tampon de]
Kalevala-seura
Helsinki
P.Esplanadink. 25B
P. 59 02
Musiikki filmiin “Häiden vietto Karjalan runomailla” sisältää:
Osa
[Première partie
XII. Veljesten kotiintulo
Le retour à la maison des frères
II. Nyyrikin laulu (filmissä « Suosittu vieras »)
Chanson de Nyyrikki
XV. Loitsu (1. osan loppuun asti)
Deuxième partie
XIII Karjahuhuilu
I. Sinipiiat (filmissä « Häiden aattoiltana »)
V. Itkuvirsi (filmissä “Itkuvirren sanoilla…”)
XV. Loitsu (film. «Puhemies lukee varausluvun”)
Troisième partie
VIII. Venla
XIV Karjalainen tanssi (film. kun tanssi on loppunut)
VII Kehtolaulu (film. Itkettäjä asettaa kolpitsalle)
XIV Karjal. Tanssi (film. Sulhanen nostaa huntua)
IX Impivaaran välisoitto (Hyvästijättövirttä laulettaessa)
Quatrième partie
X Intermezzo
IV Alkusoitto
XII Veljesten kotiintulo
L’ordre des numéros ne suit pas celui de l’ esitysjärjestys en tête de la partition et la division en quatre parties n’est pas celle du film (qui est en deux parties). La pagination qui suit (partition musicale) commence au chiffre 1 et se poursuit jusqu’au chiffre 111 (chiffres arabes), avec 14 pièces (numérotées de I à XIV, en chiffres romains) et suivie des 18 pages du numéro 15 (Loitsu) avec une inversion de l’usage des chiffres arabes et romains. Ce numéro 15 est d’une écriture différente des numéros précédents (qui était celle d’un copiste, à la plume), on reconnaît l’écriture du compositeur (probablement au crayon papier, je ne dispose que d’une photocopie). En marge, l’indication « numeroiteva » semble indiquer que cette pièce a été rajoutée ultérieurement. La dernière page de l’ensemble est l’annonce du film :
ici, dans la revue : fac-simile
La partition :
ici, dans la revue : fac-simile et détails de l'ordre avec les références d'origine.
Notons que certaines pièces sont suivies (écriture en marge) de la page à laquelle se rendre pour suivre l’ordre du Musiikin esitysjärjestys du début, mais ce n’est pas systématique.
La durée est calculée selon les indications métronomiques du compositeur (seule l’indication manque pour le XIV : Karjalainen tanssi), ce qui représente un total proche de 35mn17 de musique, soit beaucoup moins que la durée du film (que ce soit à 20 ou 24 images par seconde).
Pour établir sa partition, le compositeur a sacrifié deux partitions piano chant éditées de ses opéras Kullervo et les Sept frères. Il en a découpé les parties de piano qui ont été collées sur du papier à musique (de format A3, donc plus large que l’original et avec un écartement différent des lignes de la portée). Les parties instrumentales ont été proprement recopiées, probablement par une main de copiste pour les numéros I à XIV et par le compositeur pour le numéro XV. Toutes les pièces sont tirées de l’un ou l’autre des deux opéras mentionnés, sauf le XIV qui semble être original.
On peut s’interroger sur le double parcours possible offert aux interprètes. Nous avons vu que le Musiikin esitysjärjestys de la page 2 ne correspondait ni au découpage, ni à l’ordre des pièces. Par ailleurs quelques indications en marge, non systématiques, permettent au pianiste qui jouerait l’ordre de l’esitysjärjestys d’aller rapidement à la bonne page. Ces indications apparaissent également dans les parties de premier et second violon et une fois dans celle pour violoncelle, ce qui sous-entendrait que l’œuvre a été jouée au moins une fois dans cet ordre, avec une formation en quatuor à cordes avec piano. La partition a donc pu avoir deux destinations :
- être jouée en accompagnement des images du film (dans ce cas on suivait l’ordre de la partition)
- être utilisée dans un cadre de concert, voire de musique de brasserie (dans ce cas on avait le choix entre quatre petites « suites » jouables successivement ou isolément.
Ceci nous entraîne à étudier l’instrumentation. La relation entre les parties de flûte/cordes et celle de piano est conçue d’une façon assez simpliste. La partie de piano, elle-même réduction de l’orchestre des deux opéras, est redondante de celle développée pour les instruments, même si ceux-ci restent tributaires de la présence du piano et ne pourraient s’en passer complètement. Les parties de flûte, d’alto et de contrebasse sont les moins indépendantes et – si l’on excepte la seule pièce probablement originale où la flûte joue un plus grand rôle (le XIV Karjalainen tanssi) on pourrait aisément de passer d’elles car elles sont doublées par le piano. Par contre le second violon se voit qualifier de partie [Oblig], ce qui conforte notre supposition : non seulement l’ouvrage pouvait être joué dans des circonstances et dans un ordre différents, mais l’effectif instrumental pouvait lui aussi varier. On peut admettre qu’il était possible (mais non recommandé), à partir de l’unique piano des petits cinémas de quartier, de rajouter des instruments, de manière à atteindre un point d’équilibre avec un quatuor piano et cordes digne des grandes brasseries et – luxe suprême que ne pouvaient s’offrir que les cafés les plus luxueux et les soirées cinématographiques de gala, l’ensemble de sept musiciens, au grand complet (je n’envisage pas de probabilité d’exécution orchestrale, les équilibres et l’écriture ne me semblent pas convenir, mais je n’en écarte pas la possibilité).
Notre conception de ce soir sera celle d’un simple trio. Et encore devons nous à l’Institut finlandais la possibilité de réunir un piano, un violon et un violoncelle. L’ouvrage sera présenté intégralement, dans l’ordre établi pour l’accompagnement du film. Le problème principal auquel nous avons été confronté est celui de la durée originale du film, car nous ne savons pas quelle était sa vitesse de déroulement qui, à l’époque, pouvait considérablement varier. Ce sera la surprise du dernier moment !
Un mot encore pour parler des sources musicales utilisées : il faudra attendre des analyses fouillées de Kullervo et des Sept frères pour avoir la réponse. Telle quelle, la musique que vous allez entendre n’aura qu’un lointain rapport avec le folklore carélien original. N’oublions pas qu’il s’agit d’extraits d’opéras qui transposaient déjà un matériau populaire. D’ailleurs, le film lui-même ne montre pas la vraie Carélie des années vingt. Les principaux personnages du film sont des acteurs professionnels et on ne filme pas un vrai mariage mais il s’agit bien ici aussi de folklore reconstitué. L’adéquation film-musique est donc parfaite et les spectateurs devront prendre au deuxième degré les informations vues et entendues. Au moins !
La première audition de cette reconstitution a eu lieu le Vendredi 14 novembre 1902 – 18h – Institut finlandais de Paris :
Häidenvietto Karjalan runomailla (Musique extraite des opéras Kullervo et les Sept frères d’Armas Launis.)
Version pour trio à cordes avec piano par Henri-Claude Fantapié
Luce Caron, violon – Christophe Oudin, violoncelle – Marie-Christine Marella, piano
Partition manuscrite prêtée par TEOSTO/SMTiedotuskeskus
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L’œuvre orchestrale d’Armas LAUNIS
Si nous faisons abstraction de ses opéras, l’œuvre d’Armas Launis paraît singulièrement peu importante quantitativement. D’un côté il y a neuf œuvres lyriques, de l’autre deux ouvrages orchestraux et un certain nombre de transcriptions. Accessoirement – faut-il utiliser ce terme – nous trouvons des essais de jeunesse, seules incursions dans le domaine de la musique de chambre, des petites pièces chorales notamment pour des mouvements de jeunesse et – chose étonnante dans la Finlande de l’époque – peu de mélodies et de pièces pour piano. Au cours de sa période ‘finnoise’ et dans un domaine parallèle à celui de la musique de concert, il faut rappeler son très important travail d’ethnomusicologie et les musiques de scène, y compris une musique de film. La correspondance de Launis qui est préservée à la bibliothèque de l’Université d’Helsinki montre, qu’au cours de ses années françaises, dans ses rapports avec les éditeurs et les ambassades de Finlande, il s’intéresse presque exclusivement à faire jouer ses opéras (en particulier Kullervo qui bénéficie de ses premières interprétations niçoises et Aslak Hetta qui reste longtemps son ‘grand projet’ et à la création duquel il attache une importance particulière). Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont justement ses rares œuvres orchestrales (pour orchestre à cordes ou symphonique).
Ces ouvrages, bien qu’on ne dispose pas toujours de date précise de composition pour certains d’entre eux, appartiennent tous à la période niçoise, même s’ils plongent leurs racines dans une époque et des ouvrages antérieurs. Il est difficile de connaître l’importance réelle qu’il leur accordait. Cartes de visites destinées à introduire ses opéras ? Œuvres de circonstance ? Probablement pour certaines, sûrement pour d’autres. Son intérêt ne transparaît guère dans sa correspondance. Il proposera ces ouvrages auprès d’Henri Tomasi (à Monte-Carlo), de Marcel Mirouze (à Radio Nice) et de Pierre Pagliano (à Radio Marseille)1, peut-être aussi auprès de Charles Boisard mais on peut s’étonner qu’il n’ait pas essayé de diffuser plus largement ces partitions auprès des orchestres et des chefs des orchestres français de l’époque, notamment des associations parisiennes et des orchestres de la radio à Paris. Il est vrai que ces œuvres ne sont pas éditées et que les matériels et les partitions n’existent généralement qu’en un seul exemplaire manuscrit, au crayon, de la main du compositeur, et ne sont pas toujours très lisibles.
La liste des œuvres orchestrales se réduit à ce qui suit :
(Cette liste apparaît dans la revue BOREALES seulement)
Soit si l’on exclut les œuvres scolaires d’avant 1907 (notamment les deux pièces pour quatuor à cordes conservées à la Bibliothèque de l’Université à Helsinki), les pièces de circonstances non destinées au concert et les pièces orchestrales isolées tirées d’opéras et retranscrites pour des formations diverses, il ne nous reste plus que trois ouvrages un peu plus consistants, à défaut d’être originaux : les suites, Nordique, Carélienne et tirée d’Il était une fois. Avant de nous y intéresser, jetons quand même un coup d’œil (d’oreille) aux premières et à la plus ancienne :
Häiden vietto Karjalan runomailla ou Karjalan runomailta Häiden vietto ?
Rien qu’en examinant la liste de ses ouvrages, on s’est déjà rendu compte que Launis réutilisait volontiers le matériau de ses opéras pour les arranger au moment où il a besoin de proposer une partition nouvelle. Cela a commencé avec une partition qui ne manque pas d’intérêt : la musique d’accompagnement qu’il écrivit pour le film de la Société du Kalevala : « Un mariage carélien, au pays de la poésie »(Musiikki filmiin : « Häiden vietto Karjalan runomailla »), dans laquelle on retrouve un thème qui semble l’avoir longtemps poursuivi (ou qu’il jugeait particulièrement réussi), celui de la berceuse que chante la mère à la fin de l’opéra Kullervo4 (VII dans la partition sous le titre de Kehtolaulu « Berceuse »). Le reste de la partition est d’ailleurs principalement issu du même opéra, comme le dit l’encart de Suomen Biografi, en 1921 qui annonce le film et précise que la musique est due au « compositeur d’opéra Armas Launis qui a l’arrangée à partir de son opéra ‘Kullervo’ et d’autres5».6 Si le travail de compilation et de comparaison reste encore à faire plus précisément, tant pour cette partition que pour celles qui vont suivre, nous n’en avons pas encore fini avec cette musique de film car elle va bientôt nous transporter quelques dix-neuf ans plus tard. La partition qui appartient à la Société du Kalevala est un manuscrit sans date qui se présente sous la forme d’une partie de piano7 (collée), au-dessus de laquelle on a écrit les parties instrumentales (manuscrites, d’une autre main, sauf une partie du numéro XII, et quelques ajouts où on reconnaît bien la main du compositeur et une écriture parfois bâclée comme dans le XV : Loitsu). Les instruments, en plus du piano, sont un quintette à cordes et une flûte. Le sommaire de l’œuvre n’est pas dans l’ordre de la partition et contraint les musiciens à une désagréable gymnastique pour sauter d’une pièce l’autre, d’une page l’autre et il la divise en quatre parties (alors que le film est en deux parties). Curieusement, ledit sommaire omet la onzième pièce, une Pastorale, pourtant incluse dans le corps de la partition, un détail sur lequel nous reviendrons. L’examen de la partition laisse apparaître une superposition de deux époques d’écriture. Sur la base de l’édition de ses deux opéras Kullervo et Seitsemän veljestä, Launis, après avoir découpé la partie de réduction piano de l’orchestre, l’a collée sur un papier musique dont l’espacement des lignes de portée était différent, puis il l’a redéveloppée avec pour effet de doubler de nombreuses voix et en confiant aux instruments ajoutés les parties chantées. Ce qui donne une partition qui serait aussi jouable par des ensembles hétéroclites, mais tel n’était pas forcément le but, une adaptation un peu paresseuse et négligée pour les « orchestres » de cinéma serait une explication tout aussi valable. Cela n’explique toutefois pas les différences de découpage du sommaire. Pour quelle raison Launis aurait-il réalisé cette nouvelle organisation de la musique d’un film probablement vite oublié dans les archives de la société du Kalevala sinon pour en faire une suite instrumentale indépendante. Cette interprétation me semble la plus plausible. La répartition en quatre petites Suites suit quand même approximativement le déroulement des scènes filmées et permet une éventuelle programmation dans des concerts de musique de chambre ou – plus encore – par des ensembles de Brasseries. L’ordre original n’a aucun rapport avec le scénario du film. Notons enfin la confusion que le titre entretient avec la Suite Carélienne de 1952 qui semble en avoir troublé plus d’un, une confusion accentuée par l’existence de titres tantôt en français, tantôt en finnois. J’ai étudié plus précisément cette partition dans la présentation du film.
Hommages, produits alimentaire, transcriptions, œuvres de circonstance…
Les raisons qui ont justifié l’écriture des autres petits ouvrages et de certaines transcriptions rendent difficile toute forme de classement logique. Nous allons donc les prendre dans un ordre chronologique (et encore est-il difficile d’y parvenir avec certitude).
Avant d’arriver à Nice, les seules partitions importantes de Launis sont ses deux opéras Kullervo8et Les sept frères. Nous avons vu l’usage qu’il a fait de leur matériau dans sa musique de film carélienne. Entre 1920 et 1930 son catalogue est presque vierge et – en absence d’un relevé de ses œuvres de la main du compositeur, on retrouve les partitions suivantes qui semblent toutes appartenir à sa ‘période niçoise’
1932 – Andante religioso
1937 – Marche nuptiale
1940 – Danse Egyptienne
1940 – Berceuse romantique
1948 – Marche solennelle
Œuvres de circonstances
Marche nuptiale et Marche solennelle
Parmi ces œuvres, nous pouvons mettre à part la Marche nuptiale et la Marche solennelle qui, toutes deux, n’appartiennent pas réellement au répertoire du concert, sinon à un genre limité aux Andante festivi, Marches olympiques et autres Fanfaarit.
La Marche nuptiale est dédiée à « Monsieur et Madame Powilewitz, Charles ». Il s’agit d’une partition manuscrite de six pages et 45 mesures avec de nombreuses reprises, écrite pour harpe et quintette à cordes. L’œuvre fut jouée à l’occasion du mariage du fils du consul de Finlande à Nice en 1937. Il en existe une version instrumentale. Je ne vois guère ce que je pourrais ajouter !
La Marche solennelle date de 1948. Elle a été écrite à l’occasion du mariage de la fille du compositeur, Asta. La version originale est pour orchestre (un enregistrement en a été réalisé par Yleisradio sous la direction d’Ulf Söderblom) mais le compositeur en a réalisé deux transcriptions, une pour piano (ou orgue) et une autre pour violon et piano (ou orgue). C’est celle-ci qui a du être jouée au cours de la cérémonie de mariage. Il existe la partition d’une édition privée, propriété de l’auteur, sous le titre :
Armas Launis
Marche solennelle,
pour le mariage de ma fille Asta,
version pour orgue et violon solo créée en première audition par Gil Graven
1949
Ce Festivo en fa majeur (épisode central en ré bémol majeur) est la réduction pour piano (ou s’agit il de la version originale, l’orchestration étant plus tardive ?). L’écriture occupe deux pages et 41 mesures et il s’agit d’une des rares partitions qui comportent une date et une dédicace.
Transcriptions
Andante religioso
En 1932, Launis tire de son opéra en 4 actes Noidan laulu (Le chant de la sorcière qu’il ne terminera d’ailleurs que deux ans plus tard) un Andante religioso qui existe dans une version avec violon solo et orchestre à cordes en un manuscrit sous le nom de Bach-Launis : 80 mesures sur 7 pages. On peut supposer que le compositeur vient de faire la connaissance d’un de ses fidèles soutiens, le violoniste Gil Graven, probablement déjà violon solo dans l’orchestre de Radio Nice PTT et qu’il peut avec cette transcription lui donner une première partition.9
Berceuse (recontitution hcf FIMIC)
Kullervo fut le seul opéra qui ait été porté à la scène en France, joué à la radio et au concert, à Nice, Monte-Carlo et Tunis10. La Berceuse que chante, à la fin de l’opéra, la mère du héros mérita d’être isolée et trois versions ont été réalisées par le compositeur. La plus ancienne remonte à 1921, quand il l’insère dans sa musique de film, en quatrième position, sous son nom de Kehtolaulu, le chant et piano a même été édité par Fazer (date ?), tandis qu’une version manuscrite pour violon et cordes était réalisée pour Gil Graven. Les différences sont minimes entre elles. Par rapport à l’opéra, le compositeur dut seulement ajouter une introduction (de quatre mesures pour la mélodie, six pour la musique de film et huit poru la version instrumentale), une conclusion et une reprise interne afin que la durée soit acceptable au concert. Il s’agit ici d’une incontestable réussite mélodique. L’écriture en est – comparée à celle des pièces suivantes – très simple, jouant sur la répétition d’une phrase modale régulière de huit mesures, divisée en antécédent-conséquent de deux fois quatre mesures, harmonisée très simplement, très lyrique et dont la version la plus élaborée me paraît être celle pour cordes. Cette dernière version est manuscrite (écriture au crayon, pas toujours très lisible) et comporte quelques fautes (oublis d’altérations).
Aucune de ces partitions ne comporte de dédicace.
Danse égyptienne
Enfin, la Danse égyptienne, tirée de l’opéra Jehudith, fut jouée à la Radio française, lors de la création des extraits de l’opéra, sous la direction d’Eugène Bigot, le 23 janvier 1954.
Les Suites
Si l’on met à part la Suite en quatre parties tirée de la musique du film Un mariage carélien, elle-même adaptée de ses opéras de jeunesse, et dont j’ai parlé quand nous avons parlé en présentant le film, les trois ouvrages les plus consistants sont certainement la Suite tirée de l’opéra ‘Il était une fois’ (1944), la Suite Nordique (1949) et la Suite Carélienne (1952) tirée de l’opéra Karjalainen taikahuivi, que certains ont même parfois confondues11. Toutes trois nous parviennent sous la forme de manuscrits, à la plume pour la seconde, au crayon pour la première d’ailleurs inachevée et la troisième et toutes deux ne sont même pas toujours parfaitement lisibles. Il faut noter cette indifférence du compositeur au soin du détail qu’on retrouve dans cette écriture un peu trop bâclée, imprécise, jetée au ‘fil du crayon’, comme si seule l’Idée comptait, sa matérialisation beaucoup moins.
Je ne sais rien de précis sur les événements qui ont présidé à l’écriture de ces trois œuvres, il est par contre certain que – une fois encore – Gil Graven a dû être à l’origine (ou à l’arrivée !) de la seconde. On a vu que – devant la quasi impossibilité de voir un de ses opéras joué – Launis n’avait pas dans ses cartons d’œuvres orchestrales susceptibles d’être programmées au concert, ce qui aurait pu devenir plus facile grâce à ses relations avec quelques chefs d’orchestre français12 (Charles Boisard, Henri Tomasi, Pierre Pagliano13, Marcel Mirouze14) et avec Gil Graven qui fut le seul à concrétiser ces espoirs.15
Comme d’habitude, aucune de ces partitions ne porte de dédicace.
Il était une fois
La suite tirée de l’opéra Il était une fois porte le titre de l’opéra. Le livret a été écrit au cours de l’été 1939 et intitulé « conte du Moyen-Âge » (in Henri Tomasi Armas Launis, notes biographiques). Launis en a tiré en 1944 une Suite pour orchestre qui n’a jamais été jouée. La Bibliothèque de l’Université en possède le manuscrit et TEOSTO a bien voulu m’en communiquer la copie. Elle est composée d’un premier recueil (non catalogué par TEOSTO) composé de :
1. Nocturne (Minuit, il pleut) page de titre et 19 pages de musique numérotées de 1 à 19
2. Voilà les lutins… 4 pages numérotées de 20 à 24 (il manque les pages 25 à 30
3. Danse des fleurs (les campanules tintent dans la brise) numérotées de 31 à 38 et 45 à 46 (il manque les pages 39 à 44).
Elle est complétée par une partition manuscrite de Nocturne (cataloguée par TEOSTO sous le numéro 9532), qui est l’exacte photocopie du manuscrit ci-dessus, par la partition manuscrite de Voici les lutins (cataloguée par TEOSTO sous le numéro 9533), composée d’une page de titre et de 22 pages numérotées de 1 à 22 et par cinq parties instrumentales des trois pièces (Violons 1 et 2, alto, violoncelle, contrebasse), complètes et dont la deuxième pièce correspond à Voilà les lutins, donc à la version incomplète de la partition qui réunit les trois pièces.
Une rapide comparaison entre les doublons et les parties instrumentales nous permet de noter que si les deux Nocturnes sont la copie d’un même document, les partitions de Voilà les lutins et Voici les lutins, diffèrent considérablement et il manque des pages à la première. La Danse des fleurs est également incomplète et on ne pourrait en reconstituer que les parties de cordes (du travail en perspective pour Paavo Heininen ou Kalevi Aho !).
Toutes les partitions sont de la main du compositeur. Aucune date d’écriture n’apparaît.
Le style musical présente des caractéristiques qui diffèrent des autres Suites que nous connaissons, avec notamment des effets imitatifs et impressionnistes présents dans les trois pièces.
En l’état actuel de nos connaissances, il apparaît que, non seulement il s’agit d’un ouvrage inachevé, mais que des pages ont été perdues. Il est également curieux que le compositeur ait commencé à en écrire les parties de cordes, mais que la seule version complète de la deuxième pièce soit différente de celle qui a servi à écrire les parties. Rien ne nous permet de savoir laquelle des deux est postérieure et il me semble difficile aujourd’hui d’aller plus loin.
Suite nordique (recontitution hcf FIMIC)
La Suite nordique se présente sous la forme d’une partition manuscrite (comme presque toujours, Launis utilise un format raisin de chez Westerlund qu’il devait recevoir directement de Finlande, ce qui laisse supposer que la copie, à l’encre, est de sa plume, comme l’écriture du nom et des sous-titres le laisse également supposer.) Elle est en quatre parties, sous-titrées :
I – Solitude (Largo)
II – Scène pastorale (Allegretto)
III – Berceuse romantique (Andante)
IV – Appel du berger (Un poco vivo)
L’orchestre est celui classique du début du XXème siècle, bois par trois (2 bassons), cuivres par 3 (4 cors), harpe, timbales et cordes. L’écriture n’est pas précisément rattachable à une quelconque école et ne semble pas avoir ni reçu d’influence forte, ni non plus présenter des caractéristiques très originales, semblable en ce sens à celle de beaucoup de compositeurs qui, dans la première partie du XXème siècle, restaient attachés à une tradition romantique classique. Les emprunts folklorisants sont discrets et ne correspondent ni à l’usage qu’en faisait un Bartòk, un Kodaly ou un Enesco, ni à ce qu’on peut retrouver aujourd’hui dans la musique de Nordgren ou des compositeurs estoniens de la période soviétique récente. Il ne s’agit pas de magnifier un quelconque nationalisme, ni de tomber dans un hyper réalisme folkloriste, mais l’élément nostalgique demeure et imprègne l’ouvrage dans son ensemble. Notons que la Scène pastorale16 et la Berceuse romantique sont tirées de la musique du film Karjalan runomailla (le doublon de la Scène pastorale est évité dans le sommaire de la version de la musique de film, ce qui n’est pas le cas de la Berceuse.) Cette version semble avoir souvent été jouée en Finlande (vingt et une fois d’après Kai Maasalo17 par l’orchestre de la Radio).
Toujours probablement pour Gil Graven, Launis allait tirer de cette suite une version pour violon et cordes (que j’ai pu entendre au cours d’un concert du Collegium Musicum de France dans la Salle Saint Dominique, le 15 mai 1955, l’ensemble étant composé, en plus du soliste, d’un quintette à cordes non doublé18). Il est intéressant de comparer les deux versions d’autant que le compositeur n’effectue pas une transcription exacte mais apporte de petites modifications au texte musical. Il change également certains intitulés qui deviennent :
I – Seul dans un pays désertique (Largo)
II – Pastorale (Allegretto)
III – Souvenir d’enfance (Andante)
IV – Appel du berger (Un poco vivo)
Cette transcription est d’une redoutable difficulté technique, les instrumentistes devant fréquemment utiliser un jeu en doubles cordes (une écriture qui ne précise jamais l’indication de division des parties, ce que faisait la version orchestrale, signe possible que la transcription était destinée au quintette à cordes soliste qui accompagnait Graven. Une reprise aujourd’hui devrait tenir compte d’une nouvelle répartition des divisions de pupitres).
Une comparaison détaillée entre les deux versions pourrait d’ailleurs intéresser un musicologue. Tout comme une étude des thèmes afin de savoir si on en retrouve l’origine dans des œuvres passées. En effet, si on retrouve ici la troisième version de la Pastorale, et de la Berceuse romantique, les deux autres mouvements ne sont pas issus de la musique de film.
Mais nous en possédons donc quatre visions différentes. La première est celle de l’opéra Les sept frères, que je n’ai pas encore eu la possibilité d’examiner. La seconde se trouve dans la musique du film où elle apparaît deux fois et occupe les numéros IX et X sous les titres respectifs de Impivaara – välisoitto (Andante notturno noire=72, pp. 72-75, 63 mesures) et de Impivaara – Intermezzo (Intermezzo notturno noire=69/72, pp. 76-80, 87 mesures). La troisième version, dans la suite pour violon et orchestre, occupe la place du troisième mouvement et devient Berceuse romantique (Andante, mais cette fois-ci, la noire passe à 100 mais la pièce reste de 87 mesures). Enfin, dans sa version pour violon et cordes, la transcription, qui est légèrement différente de la précédente, s’intitule Souvenir d’enfance (Andante sans indication métronomique et 93 mesures).
Suite carélienne
La Suite carélienne nous parvient sous une seule forme, pour orchestre, en un manuscrit au crayon, peu lisible, qui porte l’adresse du 20 bis, Avenue Gay à Nice, adresse du compositeur et de sa famille. Egalement en quatre parties, les titres en sont :
I – En Carélie (Andantino sostenuto)
II – Chant du crépuscule (Andante) sur ajoutée l’indication ‘Pastoral’
III – On danse au son du kantele (Allegretto) sur ajouté ‘scherzetto grazioso’
IV – Le village est en liesse (Allegro assai)
L’œuvre serait tirée du matériau de l’opéra Karjalainen taikahuivi19, ce que le manuscrit ne précise d’ailleurs pas et que je n’ai pu vérifier. L’orchestre est proche de celui de la Suite nordique (le refus de Pierre Pagliano de jouer une de ces œuvres était justifié par le fait que l’orchestre de Marseille ne possédait pas l’effectif nécessaire, mais je crois me souvenir que c’était également le cas de celui de Radio Nice dont les bois étaient par deux). Toutefois, je me demande si l’œuvre a jamais été jouée, la seule trace que j’ai trouvée est la création de deux mouvements, le premier curieusement sous-titré Hämäran laulu, et Tanssi kanteleen kaikuessa, le 2 décembre 1952, par l’orchestre de la Radio finlandaise, sous la direction de Nils-Eric Fougstedt.
L’écriture est assez proche de celle de la Suite carélienne, souvent abrupte, mélangeant des gestes de style romantique à des phrases plus classiques. Le style de Launis n’est pas celui d’un sensualiste qui s’attarde sur des richesses sonores un peu à la manière d’un Klami. Ce n’est pas non plus tout à fait un romantique national, malgré ses berceuses et ses emprunts aux musiques traditionnelles, mais son intérêt pour les atmosphères populaires n’est pas non plus celle d’un compositeur et ethnomusicologue alla Kodaly. Launis, dans ces suites, ne montre pas qu’il possède le souffle d’un symphoniste, il ne semble trouver que dans l’opéra les ressources pour construire de grandes formes. L’adoption de titres dans ses suites résulte tout autant du matériau qui lui sert de point de départ que d’un goût prononcé pour les tableaux, paysages et évocations d’atmosphères. La musique pure qu’on ne retrouve que dans l’Andante religioso correspond plus à son amour pour Johann Sebastian Bach qu’à une attitude naturelle. Il semble être surtout inspiré par un texte, un événement, une dramaturgie, une évocation. Sans devenir descriptive, ses œuvres orchestrales présentent peut-être un créateur dont la philosophie place prima le parole e dopo la musica. Stylistiquement, son expression est nerveuse et souvent tourmentée, il aime les appogiatures non résolues et les mélismes chromatiques, son harmonie est très traditionnelle pour l’époque. Il développe au fil de la plume ou use de répétitions variées mais ne cherche pas à sortir de la miniature, l’étude de ses opéras sera d’ailleurs précieuse pour aller plus loin dans l’étude de son style. Il est à noter que la forme générale de ces suites ne semble pas non plus se référer explicitement à une autre forme académique, même si l’emprunt à des danses et à des thèmes proches du monde des musiques traditionnelles pourrait être un lointain clin d’œil à la suite française de l’époque baroque. Quant à leur nom de carélienne et de nordique, avant d’avoir de plus amples informations sur les matériaux originels, ces dénominations semblent presque plus littéraires et sentimentales (voire circonstancielles) que réellement régionales. Dans la Suite nordique, Seul dans un pays désertique pourrait situer l’atmosphère en Laponie, tandis que nous avons vu que la Pastorale et la Berceuse provenaient du film de 1921 sur un mariage en Carélie. L’appel du berger, enfin, est la pièce la plus populaire, qui pourrait mettre en scène un ménétrier possiblement ostrobotnien ( ?).
S’il est possible de rapprocher la Suite nordique d’une forme de petite symphonie concertante, la Suite carélienne, également en quatre parties, peut rappeler la forme symphonique. La précision ajoutée en tête du troisième mouvement (scherzetto grazioso si j’arrive à la lire correctement, mais de quelle main est-elle, et viendrait-elle d’un conseil que le compositeur aurait donné à l’interprète ?) serait alors révélatrice : le premier mouvement commence sur une évocation pastorale contemplative de quinze mesures (Andante sostenuto, avec un ajout pour ou de l’interprète français : Paisible, pastoral) suivi par un allegretto qui revient à la fin du mouvement à l’atmosphère initiale andantino sostenuto et à un rappel de l’allegretto central. Le deuxième mouvement est un Andante (Chant du crépuscule) qui, comme bien souvent chez Launis, oppose un thème modal d’une grande simplicité à un fond mouvant, chromatique et harmoniquement instable. La troisième partie, On danse au son du Kantele, est, comme on l’a dit, précisée scherzetto grazioso. Le kantele est évoqué par la harpe, jouée Près de la table (un Kodály, un Bartók ou un Enesco auraient directement écrit pour cymbalum. La suite aurait-elle été écrite en Finlande, aurait pu utiliser un vrai kantele. Destinée à la France, il est évident que la harpe, instrument d’orchestre traditionnel et passe-partout, s’imposait peut-être plus qu’un autre instrument à cordes pincées). Le final Le village est en liesse (Allegro assai), est dansant et champêtre. A la dernière mesure de la page 11, la notation Kantele inscrite sur la ligne réservée au tambourin reste sans suite à la page suivante. On retrouve la même indication page 24, entre parenthèses, au début du Vivo puis, une fois encore, page 28, avant le Più animato final mais cette fois sur la ligne de la harpe. Il est à noter que la précision de Arpa, ne figure que pour les deux premiers mouvements. Un interprète connaissant bien la technique du kantele chromatique de concert pourra peut-être éclaircir ce point en relation avec les possibilités expressives, techniques et sonores de l’instrument.
Cette idée de rapprochement des deux suites avec les formes symphoniques ou concertante doit également être appréciée à l’aune de la durée, aucune de ces deux œuvres n’atteignant le quart d’heure et la forme de chaque mouvement n’évoque que d’une manière lointaine les formes traditionnelles.
On voit que cette intervention reste bien incomplète et que, selon une habitude qui ne me déplaît pas forcément, je pose au moins autant de questions que je ne donne de réponses. Seul un connaisseur des musiques traditionnelles qui soit en même temps un vrai musicologue de bibliothèque pourra les trouver. Pour moi, je me contenterai de tenter d’établir une édition de ces partitions, ce qui correspond mieux à mes capacités de musicien et de chef d’orchestre qui ne touche à la musicologie que d’une manière pratique. J’ajouterai toutefois que, plus je me penche sur l’œuvre et la vie de Launis, plus je me heurte à une opacité et une difficulté à tracer une voie dans sa vie et son œuvre. Il y a une absence de repères qui semble être voulue par le compositeur qui donne l’impression d’un mode de travail totalement intériorisé avec un problème de communication à qui n’appartient pas à un cercle très restreint d’interprètes. Les partitions ne se livrent guère : les dates, les dédicaces, les origines manquent cruellement, tout comme un catalogue raisonné, mais c’est aussi ce qui rend intéressante la situation. Une étude des relations de Launis avec le monde de son temps, en Finlande et en France manque cruellement et – malgré tous mes efforts, je dois constater que les témoins de la période niçoise ont soit tous disparu 20, soit ne se rappellent rien21. A moins que…
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