Paavo HEININEN
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compositeur - né en 1938 Retour à la Page Petit QUID
Il appartient à ce qu'on pourrait appeler la branche 'radicale' de la composition. Le dodécaphonisme est son langage dès les années -50 et - contrairement à tant de compositeurs qui s'en vont le nez aux vents des modes - a su rester fidèle à ses idéaux de jeunesse. Ce qui ne l'empêche pas - bien entendu - d'évoluer au fil des temps et de l'âge.
Le tempérament d'Heininen est d'ailleurs particulièrement complexe à définir car délicat à cerner. Selon les jours, les circonstances, les oeuvres et sa propre sensibilité, on peut croire qu'il s'agit d'un dogmatique alors qu'il est profondément ouvert et curieux de tout ce qui l'entoure. Ses professions de foi élitistes et sa croyance en une musique qui ne cherche pas la facilité de contact avec le public contredisent son attitude d'appréciation de formes expressives qu'on peut qualifier de 'faciles' ou de populaires. Intellectuel type, il ne cache pas une sensibilité à fleur de peau. Son écriture apparaît comme totalement maîtrisée mais exprime un bouillonnement parfois à la limite de l'acte passionnel.
Sa pensée s'est affirmée dans son enseignement de la composition à l'Académie Sibelius (à partir de 1966) et la majorité des compositeurs finlandais de deux générations va passer dans sa classe et y développer un sens critique, une rigueur et une curiosité qui semblent être des constantes dans son message à ses élèves.
Il y a plusieurs facettes dans son oeuvre, selon qu'il s'intéresse à la petite forme, à la grande forme, à l'expression lyrique ou qu'il explore passionnément un phénomène musical en le détournant parfois de ses significations originelles. Ses ouvrages de grande forme s'affirment dans les années 1960 avec Soggetto et Adagio, tous deux pour orchestre. Son opus 32 est une oeuvre proteiforme d'une très grande richesse (le Pr. Koskenkorwa dirait d'une trop grande richesse pour le pauvre auditeur moyen et limité qu'il est). Quatre ouvrages le composent et je ne saurais trop vous conseiller la lecture et l'écoute de Poesia squillante ed incandescente pour piano (1974), du Quatuor à cordes et des deux petites pièces pour piano que la richesse du matériau de base a encore produit.
Je cite encore le Pr. Koskenkorwa : "Quand Paavo Heininen écrit, tout se passe comme si, ayant réuni un important matériau fait de cellules plus ou moins petites, les disposait tout autour de lui (en trois dimensions au moins) et, installe dans cette bulle de matière(s) vivante(s), agissant en démiurge inspiré, les combinait en les faisant entrer dans un(des) cadre(s) formel(s) strict(s) pour donner naissance à des genres d'oeuvres parfois très différents (comme l'opus 32) parfois en explorant une fore jusqu'à épuisement (sa 'suite' de 'valses' de la fin des années -90)."
Les opéras de Heininen ont été des expériences intéressantes. Si le plus achevé est peut-être Silkkirumpu (Le tambour de soie - 1983), il expérimente dans Veitsi (le Couteau - 1985-88) d'une manière telle qu'on attend avec curiosité le prolongement de la démarche entreprise avec la maîtrise et le langage actuels.
Le petite forme est incontestablement, - pour le vieux Kossu en particulier - un domaine où les réussites se succèdent. Les deux Chansons pour violoncelle et piano, les séries instrumentales de Discantus et de Jeux gagneraient à être mieux diffusées par leur éditeur car leur audience est réellement insuffisante pour leurs qualités musicales, instrumentales et de pur plaisir auditif.
Aujourd'hui, le langage s'épure encore. Le jeu intellectuel rejoint plus souvent le jeu sonore et on peut s'attendre à un certain nombre de surprises qu'on espère particulièrement heureuses.
Bibl. Boréales
Disc. assez rare en France sinon chez Finlandia.
Editeur. Fazer-Warner qui ne fait pas assez d'efforts pour la diffusion de l'oeuvre des compositeurs à son catalogue. (HCF)
Voici ce que Kalevi Aho écrit dans Boréales à propos de Paavo Heininen :
Après avoir travaillé avec Merikanto et Kokkonen, Paavo Heininen a poursuivi ses études à Cologne avec Rudolf Petzoldi et Bernd Aloïs Zimmermann, puis à New York avec Vincent Persichetti. Dès ses premières pages Heininen s'est montré un dodécaphoniste systématique et un moderniste scrupuleux qui est parti des courants les plus récents des années 1950. Il est resté fidèle à ces principes, même quand beaucoup d'autres compositeurs finlandais ont abandonné leurs idéaux modernistes pour un style composite et une tonalité libre.
Les premières œuvres publiques d'Heininen (comme la Sonatine pour piano - 1957 et la 1e symphonie - 1958) attestent de sa précocité. Bien que la création de sa 1e symphonie ait été un échec à cause du manque de répétitions (seuls les mouvements extrêmes furent joués lors de la création) - Heininen a continué à écrire pour l'orchestre (Tripartita - 1959, Concerto pour orchestre à cordes - 1959). Le problème de ces œuvres fut que le compositeur « d'une part tentait dans sa conception formelle d'appliquer des solutions traditionnelles, d'autre part dans son dodécaphonisme d'éviter toutes références à la tonalité ». Il se trouvait ainsi d'une certaine façon « entre deux générations » (Mikko Heiniö), sans faire partie du camp des traditionalistes il n'appartenait pas non plus à celui des avant-gardistes de la plus jeune génération.
Heininen a été conscient des problèmes de réception de sa musique, considérée comme intellectuelle et incompréhensible et il a abordé, dans les années 1960 un style plus classique et plus simple (Petite symphonie joyeuse, 1962) mais comme il n'a toutefois pas voulu abandonner les principes de la technique dodécaphonique (avec une interdiction catégorique des accords parfaits), la différence entre son œuvre « facile » et « difficile » des années 1960 reste insignifiante pour l'auditeur. Son premier succès auprès de la critique fut justement une œuvre « difficile » Soggetto (1963). Dans la même lignée il y a eu le sextuor Musique d'été (1963/67) et Adagio... concerto per orchestra in forma di variationi (1963/67) qui est une de ses compositions les plus somptueuses. D'autres œuvres importantes des années 1960 sont les 1e et 2e concertos pour piano (1964, 1966).
En 1966, Heininen a été nommé professeur de composition et de théorie musicale à l'Académie Sibelius, et il allait y jouer un important rôle pédagogique.
Paavo Heininen est de tous, celui qui est resté le plus fidèle aux idéaux de sa jeunesse. Sa réputation de compositeur « difficile » n'a pas été adoucie par sa volonté de maintenir la plus grande concentration dans le temps d'une abondance de détails. Dans son essai La liberté et la légalité dans la musique Heininen explique ses points de départ esthétiques :
« ... le compositeur a la même liberté que l'auteur d'une image de placer ses stimuli dans l'ordre qu'il souhaite, parce que le récepteur va en tous cas apprendre le démarche de l'œuvre par cœur et peut ressentir la présence de chaque instant simultanément. La valeur des événements ne se base ainsi pas sur ce qu'on peut attendre ou qui est inévitable ou surprenant, mais sur le fait qu'on les perçoit à leur juste valeur quand on les a assimilés. »
La 3e symphonie (1969/77) qui est une des ses œuvres principales a dû subir le même sort que la première : lors de sa création, on n'a entendu que la moitié de l'œuvre, et ce n'est que dix ans plus tard qu'on a pu la découvrir, complètement réécrite. En contrepoids à la troisième symphonie, la quatrième (1971) qui contient des passages aléatoires, est écrite pour un ensemble plus petit, et l'œuvre emprunte entre autres la forme sonate. L'important opus 32 d'Heininen comprend quatre ouvrages : la grande sonate pour piano Poesia squilla ed incandescente (1974) d'une durée de 40 minutes, un quatuor à cordes (1974) et deux plus petites pièces pour piano. Le point commun de tous ces ouvrages est qu'ils sont construits sur une même série.
Les œuvres les plus ambitieuses d'Heininen sont ses deux opéras. Ils ont été précédés par Reality (1978) pour soprano et 10 instruments, son œuvre vocale la plus remarquable dans laquelle le texte est par endroits réduit à ses constituants phonétiques. L'opéra en un acte Silkkirumpu (Le tambour de soie - 1983), dramaturgiquement très solide, s'appuie sur une vieille légende japonaise. Sur un livret de l'écrivain Veijo Meri, Veitsi (Le Couteau, 1985-88) en revanche est plus « difficile » à cause de sa dramaturgie plus complexe pour l'auditeur. Primé par le Festival d'opéra de Savonlinna, il a été créé à l'occasion du 350e anniversaire de la ville de Savonlinna en 1989. Ces derniers temps Heininen a étudié les possibilités offertes par l'ordinateur (Dicta pour 9+14 instruments - 1983).
Dans ses œuvres récentes il y a également des pièces pour orchestre (Dia - 1979, Tritopos - 1977, etc.), Two Essays (1996), le 3e concerto pour piano (1981), les concertos pour saxophone (1983) et pour violoncelle (1985) ainsi que de la musique de chambre (Jeu I pour flûte et piano, Jeu II pour violon et piano - 1980), des pièces pour chœurs (L'art poétique pour chœur d'homme - 1990) et de la musique électroacoustique (Maiandros - 1977). Heininen s'est également produit comme pianiste et a écrit des essais analytiques approfondis entre autres sur Bergman, Kokkonen, Englund et Meriläinen. Plus importante encore a été son activité comme professeur de composition à l'Académie Sibelius où il enseigne depuis 1966. Au début des années 1980 son style moderniste fut un modèle pour les étudiants de composition de l'époque dont nombreux sont ceux qui, parmi les plus éminents, (Tiensuu, Hämeenniemi, Saariaho, Kaipainen, Lindberg, etc.) ont suivi son enseignement.
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