Sicile2003
LE VOYAGE EN SICILE DU PROFESSEUR KOSKENKORWA
(extrait des "aventures et nouvelles aventures du Prof. K. par son pieuxgraphe Claudius Lenicius)
Le professore écrit à son pieuxgraphe :
« Juillet 2003 : voilà qu'est venu le temps de se rendre en Sicile.
Après l'expérience ratée de 2002, et après avoir refusé un concert de dernière minute en avril, cette proposition me paraît un engagement particulièrement couglissant : Fluctuat nec mergitur dit la grand-ville voisine. Cette fois-ci, le mergitur a souvent été proche de se réaliser, mais on a quand même réussi à fluctuer. Plus ou moins. Même si le souvenir de ce fameux stage d'été de l'été 2002, évaporé avec l'eau du ciel et des sources indigènes, la veille du départ, a longtemps plané sur nos têtes. Le contrat d'engagement n'est arrivé que par bribes de fax, mais se serait-on donné la peine de réclamer officiellement et bureaucratiquement deux fois curriculum et photos, si rien ne devait se passer ?
Le programme est imposé : 44ème de Haydn, 33ème de Mozart et ouverture d'Idomeneo. Bref, du pas trop fatigant par temps de canicule. Un peu ridicule aussi, il n'y a qu'hautbois, cors et basson(s) dans les deux premiers, mais les cinq minutes du troisième mobilisent flûtes, clarinettes, timbales et trompettes. Il est vrai qu'une semaine avant le concert il y a eu ce coup de téléphone :
Meastro, nous avons un petit problème, (çà y est ils vont encore annuler !?)
Oui ?
Avec les clarinettes. Peut-on remplacer l'ouverture d'Idoménéo par celle de l'Infedeltà delusa ?
Si vous voulez. Et si vous avez la partition, car c'est la seule ouverture de Haydn que je n'ai pas… Après tout ! Le programme n'est pas passionnant mais il semble (l'avenir le confirmera) qu'il y a des raisons (inavouables ?) à tout ce qui se passe d'étrange ici (là) - bas.
Lundi 7 juillet 3003
Alitalia n'est guère une compagnie attractive. Le vol est combiné avec Air France mais on ne parle qu'italien et anglais sur les ondes hôtessières et le repas (sic) est affligeant et digne d'un sous-wimpy (est-ce possible) de banlieue texane. Sans compter que j'ai retenu des places sur cette compagnie en pensant qu'au moins le café… mais même pas. Il n'y a qu'à Rostock qu'il est pire. Enfin ! Où sont passés le caviar et la vodka de l'Aeroflot de la grande époque brejnévienne ? Il y a loin de Moscou à Palerme disait Voltaire. Pas le temps de réfléchir à ce saut dans un inconnu étrange, nous voilà à Rome puis à Palermo.
18h30 : arrivée à Palermo. Foule bigarrée et contadinesque dans le hall bruyant. Sortie. Une quantité de multiplas attendent le candide de pasage. Un taxivéloce s'empare de nos bagages et en autoroute pour les quelques trente km qui nous séparent du centre. A 150km à l'heure. En faisant la course avec un autre taxitouriste. Tout en téléphonantmobile. Circulation napolinesque, vespas en sens inverse sur les voies de bus, ceinture conseillée. Enfin, hôtel Europe (climatisé), Ouf ! Cicerone arrive. Excellent repas chez Peppone (Salade de poulpe puis dorade grillée avec un filet d'huile d'olives et remarquable assortiment de tartes aux figues, à la crème et aux amandes). Cicerone explique la situation : l'orchestre n'est plus payé depuis trois mois, il est donc (on le comprend bien) un peu nerveux (euphémisme). L'argent existe mais il est bloqué par la banque en attendant des délibérations qui sont en cours. Mais la région elle-même a un déficit qui se chiffre en millions d'euros. Tout çà est bien compliqué. Situation bien sicilienne. Jeudi soir, les musiciens ont l'intention de donner un concert de protestation (protesta) ; le Maestro Koskenkorwa serait-il d'accord pour le diriger ? Pourquoi pas, à condition que ce ne soit pour une bonne cause et pas contre quelqu'un ou quelque chose. Bonne nuit. (Excellents cet espresso et ce petit chardonnay).
Mardi 8 :
A 9h30 répétition. Le Politeama est à dix minutes à pieds. Bâtiment assez rustique, sans air conditionné. Le loges sont du genre Mogador mais le tour ne manque pas d'allure, même si le poids des ans a bien patiné le kitsch de cette pièce montée. Théâtre Politeama, Piazza Garibaldi, on se croirait à Nice ! Arrivée des musiciens par vague (vague) avec des airs peu enthousiastes. Je demande à ne garder que les cordes. Aussitôt on me réplique que dans ce cas - syndicalement - la répétition ne durera que deux heures au lieu des trois heures trente prévues. Je regrette ma demande mais pourquoi garder les vents pendant que je fais travailler les seules cordes ? On me dit que demain, le reste de l'orchestre viendra à midi répéter le programme du concert de « protesta » : Beethoven (Egmont et premier mouvement de la cinquième), ouvertures de Norma et des Maîtres chanteurs.
La répétition ne se passe pas trop mal. Il manque un alto et une contrebasse, le chef d'attaque des seconds arrive en retard (syndicat). Le son est assez dur, l'ensemble manque de discipline, je parle de ce que disait Markevitch des orchestres français qui jouent « mal mais brillamment », (j'insiste, « brillamment mais mal et vice versa »)… je ne sais pas si cette comparaison risquée est comprise, mais ajoutée aux quelques 45° de l'atmosphère, j'en transpire encore aujourd'hui… La pause. Au café, un altiste. « Di dove viene Maestro ? Siete Tedesco ? » je le regarde un peu étonné. « No - Austriaco ? - No - Allora Inglese ? - Neppure !” tout y passe, Suisse, Belgique, Pays-Bas, puis on part vers l'Europe centrale, on remonte vers la Pologne, retour vers l'Espagne, le Portugal... Langue au chat. « Francia ! » « J'aurais dû m'en douter, rien qu'en voyant votre épouse » « Encore non, elle n'est pas française, mais finlandaise ! ».
Reprise de la répétition avec dix minutes de retard (Cicerone me dit que les musiciens m'apprécient sinon ils auraient traîné encore dix minutes de plus avant de rejoindre leur pupitre). On travaille Haydn, les trois premiers mouvements.
Repas chez Peppone (oublié le menu : pasta et pesce)
L'après-midi, nous allons jeter un coup d'œil à la cathédrale et au quartier des Normanni. Nous assistons à la mise sur un camion de la statue dorée de Santa Rosalia, patronne de la ville, dont la fête commence cette semaine. Pénitents qui la portent, autels dans les rues, cloches qui sonnent à la volée, Méditerranée ! Nous passons devant le théâtre Massimo, mais sans avoir le courage de le visiter (un mineur polonais va t-il au Pays de Galles pour y visiter les mines de charbon de Cardiff ?) Café et le soir trattoria sympathique en face de l'hôtel (la salade de poulpe est plus caoutchouteuse que celle de la veille, mais les pâtes aux vongole sont excellentes et le café délicieux).
Quelle nouvelle surprise m'attend demain ?
Mercredi 9 :
Tout le monde est là et - miracle ? - on commence presque à l'heure. Seulement, la répétition sera écourtée car à midi arriveront les autres musiciens pour répéter le programme de protesta.
Donc je n'aurai que 2h30 au lieu de 3h30. Evvabene !!! Cà va mieux qu'hier, le son s'améliore, les bois et cors sont bons. On retravaille la Trauer, les deux premiers mouvements de Mozart et on lit seulement le reste. Bah ! il reste encore une répétition et la générale, çà ira… (il ne faut jamais dire çà en Sicile). De temps en temps un musicien se lève et va téléphoner puis revient, un autre a une réunion syndicale (quatre syndicats se partagent l'orchestre : deux minoritaires, extrémistes de droite et de gauche, deux majoritaires). Brfutalement, Nerone, le soliste se paie une engueulade soignée avec un collègue qui ne s'est pas rasé d'assez près le matin. A midi, l'orchestre est au complet et on ne perd pas de temps. Je fais un petit discours et dit que j'accepte de diriger le concert à deux conditions :
Que tout le monde soit d'accord,
Que le concert soit pour la défense de l'orchestre mais pas contre qui que ce soit.
Tout le monde acquiesce. Seul manque un désaccordé avec le concert, mais il y a des supplémentaires zextérieurs comme ceux venus du Conservatoire.
Lecture d'Egmont. Je sens qu'ils veulent jouer plus vite, mais je les retiens (difficilement). Norma, sans problème, là aussi, ils sont un peu surpris pas mes tempi lents, notamment dans le passage central qu'on prend à 2 en Italie, mais que je fais à 4 pour plus de précision et plus d'atmosphère. Les points d'orgue du début suivis par un long silence semblent aussi les surprendre un peu. La 5 jouée comme on la massacre habituellement : mesures du thème pesantes et fff, le reste le plus vite possible. Difficile d'imposer mon tempo (« Alla Tedesca ! »). Au bout d'une heure j'arrête. On ne fera pas les Maîtres chanteurs. Un programme trop long ne convient pas à ce type de concert qui doit laisser le public sur sa faim (musicale) et ne surtout pas durer trop longtemps. Il y aura des discours et les gens seront debout en majorité. Les vents applaudissent.
A midi, on prend un plat dans un bar de rue, café et promenade dans le vieux quartier, autour de la Via Roma. On essaye de rejoindre la mer mais on n'y arrive pas. Café glacé. Régal. Le soir retour au Volte, on évite la salade de poulpe mais la pasta et l'espresso sont toujours délicieux et bonne nuit les petits.
Jeudi 10 :
Le concert du vendredi doit avoir lieu à Terrasini. 31km selon les uns 29, selon les autres (et encore, cela dépend :
1 du point de départ exact,
2 Si on mesure à vol d'oiseau ou par la route, et dans ce cas par quelle route et s'il y a de la circulation)
Donc et par conséquent, comme syndicalement il ne peut y avoir dans la même journée une répétition et un concert à plus de trente km, la générale c'est aujourd'hui et pas demain !
Tout ceci ne me convient guère. On n'a pas fini de travailler le programme et il faut faire maintenant la générale, alors que le reste de l'orchestre va encore arriver à midi, amputant la répétition d'une heure ! Mais au point où on en est… On file la Trauer, on travaille un peu les deux derniers mouvements de Mozart qu'on lit en entier et on file la première partie de l'Infedeltà, renvoyant aux calendes siciliennes le reste de l'ouverture.
A midi, il y a encore quelques difficultés pour plaquer un vernis tedesco sur le fonds sicilien, mais l'orchestre s'habitue bien à moi (et moi à eux). Le son aussi s'améliore. L'orchestre a du métier mais doit trop souvent être dirigé par des bourrins. Il me revient aux oreilles qu'ils apprécient énormément la clarté de la battue et les intentions dans le geste. Que Sainte Rosalie nous ait en sa (sainte) garde.
L'après-midi, çà se corse (chef lieu Palermo comme dirait le cher Professeur Koskenkorwa père), Cicerone me téléphone pour me dire qu'il vaudrait mieux que je prenne contact avec un dénommé Traetta, Prince de l'orchestre. J'ai le tort de le faire tout en me demandant pourquoi ce n'est pas lui qui m'appelle. Il me remercie de l'appeler et me dit qu'il souhaiterait que je ne dirige pas le concert de protestation, ce qui risquerait de compromettre nos relations futures. Je lui demande pourquoi, alors que tout le monde savait ce qui allait se passer, il ne m'a pas téléphoné avant le début des répétitions ; c'est, dit-il, qu'au début, il était pour l'organisation de ce concert mais qu'il s'est rendu compte que la tournure devenait défavorable pour lui et pour les autres Princes. J'avoue ma surprise et dit que, dans ce cas, en effet, je devrais probablement me retirer, car je ne veux pas prendre parti contre qui que ce soit fut-ce des Princes. Dans la lancée, j'appelle le principal représentant syndical (Chaliapine, l'octobassiste et non pas le sopraniste) pour faire le point avec lui, évoquer ce coup de fil et dire que, probablement, je ne pourrai diriger le concert, mais que je serai avec eux le soir. Il me dit comprendre la situation et me remercie quand même. Assez troublé, je sors et nous repartons en promenade et essayons de rejoindre la mer, toujours sans succès. Nous nous arrêtons pour prendre une granita di caffè et je réfléchis. J'ai fait les deux répétitions, et je laisse donc l'orchestre sans solution de rechange. D'autre part, personne de l'administration ne m'a contacté et sans mon coup de fil, aucun rapport n'aurait eu lieu. Enfin, s'il me faut choisir entre les musiciens et l'administration, ma décision est prise et ce, quelles qu'en soient les conséquences. Je me mets donc en tenue de concert et à huit heures je rejoins les musiciens au théâtre et leur dit que je dirigerai, à leur grande satisfaction (sorte même d'enthousiasme tempéré par la chaleur atmosphérique). Chacun tient à me remercier personnellement.
A neuf heures, il y a pas mal de monde sur la Place Garibaldi, devant le Politeama. Autres remerciements, y compris ceux du César du Massimo, venu soutenir l'orchestre. Après une présentation des problèmes de la soirée par un représentant syndical, on joue Norma, puis Egmont qui se passent très bien, orchestre attentif, engagé, souple, qui suit parfaitement, beau son d'ensemble des cordes, notamment des attaques dans Egmont, Norma à la fois précise et dynamique. Suit une litanie d'interventions qui disent et redisent presque toutes la même chose. L'orchestre est l'un des deux plus anciens orchestres régionaux d'Italie, qui a connu son heure de gloire sous la baguette de Strawinsky, Milhaud ou Celibidache (depuis, il n'est plus dirigé que par des brèles, une précision qui m'a fait un plaisir mitigé !). Tous (délégués syndicaux, directeur du conservatoire, doyen de l'université, chef de l'orchestre baroque), se répètent : la culture n'est ni de droite ni de gauche, pouvoir y accéder est un droit pour tous, les travailleurs doivent être payés pour leur production, les délégués syndicaux en langage de délégué syndical, un autre, ténor dans sa tête à défaut de basse de la corde vocale s'envole peu à peu et se saoule de ses mots, il crie de plus en plus fort, se tautologise hardi, bute sur une phrase, un mot, recommence. Mentalement, le Professeur Koskenkorwa (père) l'atomise. La chefesse queusebaro s'enthousiasme, elle interpelle les mânes de Gino, Ciccio et Zizi, met son cœur entre ses dents et le mordille afin qu'il saigne sur les écouteurs. Elle est atomisée à son tour. Un musicien retraité de l'orchestre apporte la contribution la plus sensible en rappelant l'histoire de l'orchestre et ses succès passés. L'universitaire parle universitairement et apporte un salut fraternel et collégial illustré de citations ad hoc. On me remercie par la même occasion. Il est temps de cinquième symphoniser. On y va, ce qui déclenche les seules larmes de pluie qui humidifieront notre séjour et qui interrompent la magistrale exécution publique. Heureusement qu'on n'a pas wagnérisé les Maîtres chanteurs au cours des répétitions. Gros succès personnel, public et musiciens. La 5 a été un peu trop sabordée à mon goût. Type karaoké de rengaine Scandale, mais le reste a été vraiment satisfaisant. L'orchestre est lui même surpris de sa sonorité sous ma direction. Petite satisfaction personnelle…
Allons chez Peppone nous consoler. 36ème café. Le bus doit partir demain à 19h pour Terrasini mais à 23 heures, Cicerone arrive après sa 333ème heure de réunion et m'apprend que le concert aura lieu au Politeama.
On aurait donc pu faire la générale, puisque le déplacement de 31km est annulé !
Vendredi 11
La télévision (RAI 3) rend compte de la soirée d'hier, je me vois diriger Egmont et Norma (avec des coupures peu musicales). Journaux avec photos d'Henry-Claude Koskenkorwa (un représentant syndical a même remercié hier Jean-Claude Koskenkorwa - c'est beau la gloire et le fait d'être connu de tous).
Comme il n'y a pas de répétition ce matin, promenons nous dans le vieux Palermo, ses rues commerçantes, ses vieux palazzi délabrés, le jardin Garibaldi, beau et quasi-désert, allons vers le port. On essaie une fois de plus de rejoindre la mer, et on n'y parvient toujours pas. Les églises sont parfois ouvertes et d'autres sont fermées. Achetons quelques graines de légumes indigènes pour les transplanter en pays nordicque, regardons les soldes qui commencent. A midi, j'apprends que c'est l'absent du concert de protesta qui a fait supprimer la générale car il avait une répétition de quatuor. J'apprends également que l'orchestre a décidé de se mettre en grève mais, pour me remercier, la grève ne commencera qu'après mes concerts. L'administrateur a, paraît-il, manifesté son mécontentement parce que j'ai dirigé. Me voilà avec un ami de plus, mais je n'aurai pas l'heur de le rencontrer. Après mon quarantième café, me voici à l'hôtel.
A 20h, au théâtre, accueil très chaleureux de tous les musiciens (« grazie Maestro »). Il doit y avoir tout au plus 30 à 35 personnes dans la salle. Le public est allé à Terrasini car il n'y a eu aucune annonce publique sur le changement de lieu. Gag au moment d'entrer, la corde de mi du violon du chef d'attaque des seconds casse. Il ressort en hâte au moment où je m'apprête à entrer. Il ne trouve pas de corde de rechange dans sa boîte. Comme çà s'éternise, je lui dis qu'on peut commencer et qu'il nous rejoindra après le premier mouvement « mais je suis le chef d'attaque des seconds » me répond-il au comble de l'indignation. Enfin il trouve la solution, il s'empare du violon d'un collègue et le laisse se débrouiller avec son tricordes. Haydn se passe bien. On pensait ne pas faire d'entracte mais il fait 45° et l'orchestre éprouve le besoin de souffler. Ils ont bien participé, faces apoplectiques et chemises trempées. Mozart en deuxième partie, c'était presque une bonne générale (j'oublie le dernier accord du premier mouvement !). Le public manifeste son maigre mais chaud contentement, tout comme les musiciens. Cicerone me présente une « viennoise » qui semble avoir été éblouie par le style ( !). Le concert a quand même eu lieu. Ouf ! Et demain ? on ne sait pas encore où aura lieu le concert suivant. Rendez-vous sur place à dix-neuf heures. Et allons maintenant nous réconforter chez Peppone. Cicerone reste pour la nième réunion.
Samedi 12 :
Le matin, nous retournons dans le quartier des Normands. Splendeur de la chapelle Palatine que nous n'avions pas vue lors de notre promenade précédente à la Cathédrale. Nous remontons dans le vieux quartier et shoppingons un peu dans les soldes vestimentaires et chaussurières. L'après-midi, après une nouvelle tentative infructueuse pour rejoindre la mer, on rentre à l'hôtel après le 46ème café, et Cicerone m'annonce que le concert aura bien lieu à Spasimo dans une église désinfectée (peut-être) et désaffectée (sûrement), à ciel ouvert, avec une excellente acoustique. Quand nous arrivons, je découvre qu'une partie des musiciens n'a pas d'instrument. Le Prince, en guise de rétorsion au concert de protesta, a fait boucler le théâtre et les casiers de musiciens y situés. Réunion syndicale. On y parle fort et on s'écoute parler. Le concert est donc annulé et en guise de rétorsion on annonce la grève de l'orchestre. D'accord versus pas d'accord. A tour de rôle chacun vient me voir et s'excuser (« pour une fois qu'on avait un bon chef », çà fait plaisir à entendre - si c'est sincère - mais ne change rien à la situation). Tout ceci n'annonce rien de bon pour demain. Le public est expulsé sans ménagements (« Ce n'est pas à Milan que çà se passerait » dit un bossiste rembarré par Cicerone « Et à la Scala, quand il y a une grève, que faites-vous ? »).
Peppone. Chardonnay. Toratti. Caffè.
Dimanche 13 :
Nous allons à Monreale, juste le temps de se faire voler mes cartes de crédit un bref instant, en montant dans le bus. C'est probablement le voleur lui-même qui, déçu de ne pas trouver d'argent dans le porte-cartes, me tape sur l'épaule pour me faire remarquer que celui-ci est par terre, ouvert, derrière moi. Le temps de le ramasser, je cherche mon « sauveur » pour le remercier mais il a déjà disparu, étant probablement redescendu juste avant la fermeture des portes. C'est la première fois que je rencontre un pickpocket serviable et bien élevé. Merci à lui, qui restera inconnu. A une heure, les yeux réjouis des visions monréaliennes et après gelatti et café, nous redescendons vers Palermo, juste le temps pour l'autobus de renverser un cacochyme qui descendait trop lentement. La convivialité des sonores matrones parlotteuses se retourne bruyamment contre le chauffeur, mais il y a eu plus de peur que de mal, nous repartons allègrement. Petit repas (où ?) puis, après une promenade vaine en direction maritime pour ne pas trouver la rive tout aussi maritime, nous retournons le soir à Spasimo. Cette fois-ci, bien que les musiciens aient réussi à récupérer leurs instruments, c'est bien la grève. Il y a trois syndicats. Les principaux sont contre la grève, mais les extrémistes de droite et de gauche sont pour. « On ne joue pas avec un orchestre privé de ses extrémistes » (proverbe familial koskenkorvien). Impression d'un vaste gâchis. On a négligé, mis à part le concert de protesta, de mettre en valeur la situation pour la presse et le public et celui-ci a été totalement tenu à l'écart. Pas de document distribué, pas de communiqué de presse, tout s'est passé dans l'improvisation, l'indécision, l'anonymat. L'orchestre se réunit, on éjecte les mélomanes marris, Chaliapine parle, on crie encore un peu. Partons vider nos bouteilles de frizzante et de chardonnay sicilien chez Peppone avec Cicerone, Mataleena mangera coléreusement pour la troisième fois une dorade grillée que le patron lui a imposée, comme il m'a imposé son « tonno fresco per il Maestro », trop cuit à mon goût. Nous mangeons trop. Soirée ratée donc, malgré le 52ème café di qualità, di qualità, di qualità.
Lundi 14 :
Fêtes nationale et de Sainte Rosalie réunies. Ce sont les vacances. On devait aller à Catane (chercher aussi le livre fantasmatique sur la direction d'orchestre, mais çà c'est une autre histoire qui mériterait un traitement séparé) mais l'évêque a demandé qu'un orchestre de chambre participe à sa réception - gratuitement. Les musiciens grévistes ont accepté. Les non grévistes, payés sous le manteau vont jouer les fire music pour le feu d'artifice municipal et clérical au bord de mer. Le matin Cicerone répète deux Vivaldi et un divertimento de Mozart. A tuer un baroqueux dans l'œuf. Chacun, heureux de massacrer sa Saison personnelle, va le plus vite possible paganinisant le rouquin de Venise, sur un continuo de violoncelle impavide.
Après quoi, excursion à Vertice, repas en plein air, glace idem, 63ème café délicieux, vue lointaine de la mer, églises, promenade vers le château de Vénus, redescente palermesque et départ vers le luxueux lieu d'accueil épiscopal qui domine la Conca d'oro. Dans une grande salle, vlà l'gratin palermitain, Princes et princesses, mafiosi et berlusconiens, démocristiani et contadini, bossistes et finistes endimanchés, un portable anticipe sur Vivaldi, lequel évoque pour les zauditeurs leur çonnerie préférée. Auparavant un tout petit évêque (entouré de ses gardes du corps, car la mafia a mis sa tête à prix) qui ne paie pas de mine fait un discours syndical, et passe même la parole à Chaliapine qui lit une lettre de l'orchestre. Le beau monde applaudit ces frères d'armes des intermittents français. Après quoi on joue. Avant les ultimes dix minutes du divertimento, l'orchestre sort.
On saura plus tard que c'était afin de leur permettre de fumer une cigarette.
La cigarette fumée, les adeptes du portable qui étaient sortis pour communiquer avec le monde reprennent leur place et on applaudit. Bon petit buffet, pas assez de vin mais pour le reste, çà allait. Laissant les hôtes attendre que soit tiré le feu d'artifice rosalien, on dit adieu aux musiciens (« grazie encora Maestro, speriamo di rivederci presto, in migliori condizioni… »), on reprend la voiture et on s'en va prendre une glace au goût de cassata sicilienne chez Ciccio. Mmmm et au lit (il a manqué un café ce soir !!!).
Mardi 15
Tout est fermé, heureusement une brûlerie de café pour emporter un petit souvenir palermitain d'un kilo de miscella et, à l'aéroport, un bonne grosse cassata sicilienne (durée de conservation : sept heures) emportée religieusement pour dégustation castelline ce soir. Un ultime caffè et retour dans l'enfer anutritionnel d'Alitalia.
Mercredi 16
Échos de Sicile : l'occupation du théâtre et de l'administration a commencé. Un Prince qui a pénétré dans le théâtre, fort imprudemment, pour le faire visiter à deux comparses, a été sorti, manu militari et sans toucher terre par des musiciens porteurs… Cicerone me propose un concert pour 2004 : Beethoven, concerto 5, Egmont et Symphonie 7. Et un autre pour 2005 (musique française) ! Il paraît que l'orchestre a apprécié ma direction.
A suivre…
(à propos, serai-je payé pour les non-concerts passés ? C'est prévu pour septembre. Comme la parution italienne du livre sur la direction d'orchestre ?).
Mai 2004 : Après échanges lettresques, réception et renvoi d'un nouveau questionnaire sicilien, au ton berlusconique, plus aucune nouvelle. Pour une fois que j'étais payé correctement, le concert m'aura coûté voyage et hôtel. Mondo cane !
Quant au concert Beethoven, chi l'avrà fatto ? Io no. E il libbrone ? Quando ? A Pasqua o alla Trinità ? Bravissimi ! Evviva la Sicilia ! Un bel paese...da lontano!”
Le Maestro Koskenkorwa nous a promis de nous parler en septembre de son opéra créé à Lens, en juin 2004.
A suivre…
Photo l'Unità samedi 12 juillet 2003.
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